Rennes domine le grand Ouest en matière d’édition scientifique et régionale. En parallèle de maisons qui prétendent à un rang national, de petites maisons œuvrent à la diversité et l’indépendance du milieu. Après avoir rencontré Jean-Marie Goater puis Critic, notre divagation éditoriale prend une traverse : halte aux éditions Pontcerq !
Dans la famille des maisons d’édition associative, je voudrais… Pontcerq ! On a tiré là une carte vraiment différente des autres. D’accord, les deux premiers articles étaient consacrés à des éditeurs à la fois libraires. On pourrait penser néanmoins que Goater, par son contenu politique affiché, s’apparenterait à Pontcerq. Nuances : si les quatre éditeurs de Pontcerq sont loin d’être pondérés, s’entend dans leurs publications, leur conviction ne dit pas vraiment son nom. Jean-Marie Goater a ses marottes : le breton, le féminisme, l’écologie. Les membres de Pontcerq avouent cultiver « une aura de mystère »…
Mais qui sont-ils ? Nous savons que cette maison d’édition rennaise existe depuis 2011, qu’elle est associative et composée de quatre éditeurs, qu’elle a publié à ce jour 18 ouvrages, qu’elle est comme Goater, diffusée par Hobo diffusion, lequel « promeut l’édition indépendante, engagée, libertaire, contre-culturelle » et qu’enfin elle a remporté quelques succès à l’échelle nationale, notamment pour son travail sur Georg Büchner, salué par Libération ou encore France Culture et sélectionné pour le Goncourt de la biographie en 2013.
Concernant une éventuelle ligne éditoriale, difficile de se prononcer. Pontcerq a publié plusieurs écrits de l’Institut de Démobilisation, section rennaise, mais aussi berlinoise. On sait que les Thèses sur le concept de grève, publiées en 2011, ont été rééditées aux éditions Lignes, une maison importante, fortement marquée à l’extrême gauche, qui publie de remarquables essais, notamment d’Alain Badiou, Slavoj Žižek, Anselm Jappe, Robert Kurtz, Michel Foucault, Félix Guattari, etc. Pontcerq a également publié en 2012 deux écrits (presque sous forme de tracts) de la section rennaise de l’Institut de Démobilisation. Le premier, Sécurité générale. La liquidation de l’alcool, est une diatribe enflammée et ironique sur la campagne de publicité « A ta santé », selon les auteurs, « moralisatrice et diffamatoire sur les dangers de la consommation d’alcool ». Le deuxième, Lettre à Paul Hutin, revient de manière polémique et drolatique sur la dynastie Ouest-France.
Lignes, Institut de Démobilisation : une ligne éditoriale, sinon politique, se profile. Pontcerq n’a pas de collection instituée. Mais certains leitmotiv apparaissent, tout de même. L’érudit et pointilleux Pontcerq tourne résolument son regard vers l’est : vers l’Allemagne, avec les trois volumes de Frédéric Metz sur Georg Büchner, dramaturge, révolutionnaire et scientifique du XIXe siècle, mais aussi la Russie, avec Les tchaïkovtsy de Thibault Bâton. Pontcerq, parmi ses spécialités, a trouvé dans l’auto-stop matière à publier, avec Tôt ou Tard de Fabien Revard et Hervé Décaudin et Pratique des voyages libres, d’Anton Krotov, un auteur russe qui « a parcouru plus de 600 000 kilomètres en autostop à travers la Russie, l’Eurasie et l’Afrique ».
La réédition du Messager de Hesse, pamphlet imprimé en 1834 et écrit par Büchner et le pasteur Weidig, le prouve : les éditions Pontcerq s’attachent à fabriquer des objets de qualité. Cette réédition bilingue de 2015 utilise une police d’époque, une Fraktur gothique hautement esthétique. Outre la traduction, les quatre éditeurs occupent toute la chaîne du livre, du moins le prépresse (ce qui précède l’impression et la diffusion d’un ouvrage). Parmi ces tâches, ils aiment à exhumer des textes plus ou moins oubliés. Cet exercice difficile court le risque de faire revivre des textes médiocres ou de produire une mauvaise traduction. Parfois, la surprise est au rendez-vous, et ces pépites littéraires, retrouvées, brillent d’un éclat extravagant.
Leur dernier ouvrage, Traité de la Science de Dieu, met en lumière l’un de ces fous littéraires chers à Nodier ou Queneau. « En 1842, Pierre Roux, paisible commerçant de Genève, a une vision : Dieu est une pile omnipuissante universelle. Dans cet essai de 1857, il développe sa pensée hallucinée, où science et religion se mêlent dans des noces contre nature ». Cela intéressera les spécialistes, assurément, et les quelques lecteurs courageux avides de trouver ça et là d’excellents moments de folie littéraire. Finalement, ce dernier opus demeure à l’image du pontife Pontcerq : faire un pont, parfois risqué, entre l’oubli et la postérité, faire entendre une voix, faire corps, chorus et cause commune.