Avec La Mégère apprivoisée Mélanie Leray achoppe sur Laetitia Dosch

Avec La Mégère apprivoisée, Mélanie Leray achoppe sur Laetitia Dosch. Voilà donc un titre de critique chipie ! De critique chipie, mais non de pie-grièche ou de vieille bique… Pas plus que de macralle ou de drôlesse ! Bref, un titre un brin provocateur comme l’est Mélanie Leray. Ancienne élève de l’école du Théâtre National de Bretagne (TNB), elle est d’abord comédienne avant de rencontrer depuis cinq ans un certain succès, notamment avec ses mises en scène de Leaves de Lucy Cadwell et Contractions de Mike Barlett. Très sensible aux réflexions relatives au rôle de la femme dans la société, elle propose une mise en scène actualisée de La Mégère apprivoisée du 8 au 17 janvier 2015 au TNB. Cette comédie détonante de William Shakespeare est rarement mise en scène ; et pour cause, les pièges à éviter y sont nombreux. Alors a-t-on affaire, avec cette Mégère apprivoisée, à une innovante chipie : à une mise en scène féministe actualisée au profit d’un avenir meilleur pour les deux sexes ?

 

Mélanie Leray
Mélanie Leray

La Mégère apprivoisée est une comédie. Elle questionne la place de la femme dans la société patriarcale du XVIe siècle. Shakespeare situe l’action en Italie afin de se distancer de la société anglaise et faciliter l’exercice critique.

Baptista, riche citoyen de Padoue, prend la décision d’enfermer sa fille cadette Bianca jusqu’à ce qu’un homme épouse Catherine, son ainée. De fait, la douce et belle Bianca est convoitée par de nombreux prétendants ; Catherine est bien connue pour… son caractère difficile et ses réparties cinglantes. « Une femme comme moi, vous ne risquez pas de l’avoir. Et si c’était le cas, croyez-moi, elle s’occuperait de vous : elle vous peignerait les cheveux à coups de tabouret, vous décorerait le visage à coups de griffes… » Mais voilà le rusé Petruchio. Appâté par une dot confortable, il approche par des chemins de traverse en direction de la soeur ainée. Il a pris la décision d’épouser la mégère et de dompter Catherine l’insoumise qui se prépare, de son côté, au combat. Voilà l’arène et la reine de la manipulation…

Peter Bonke
Peter Bonke

D’emblée, lançons un cliché : il est risqué de s’emparer d’un texte classique et de le transposer à l’époque contemporaine sans produire de contresens ou de… clichés ! D’autant que nombre de paramètres entrent en jeu. Or, Mélanie Leray explore des pistes prometteuses dans sa mise en scène. Elle introduit judicieusement cette Mégère apprivoisée par un discours de la reine Élisabeth 1re à son armée. Un choix pertinent qui replace la pièce dans son contexte historique et rappelle qu’au XVIe siècle l’Angleterre et l’Irlande sont dirigées par une… femme. Élisabeth 1re, reine célibataire et vierge, qui répond à la continuelle pression de son entourage masculin par une volonté inflexible. Malheureusement, l’effet attendu – traduire une femme solide et combattante – est parasité par le jeu incertain de la comédienne (Laetitia Dosch). Plutôt qu’un chef d’État assuré, on voit une comédienne mimant le pouvoir…

Laetitia Dosch
Laetitia Dosch
Clara Ponsot
Clara Ponsot

Disons-le de suite, le jeu des deux comédiennes Laetitia Dosch et Clara Ponsot (Bianca et Catherine) est nettement inférieur à celui – dans l’ensemble tout à fait réussi – des comédiens (Petruchio, Grumio, Gremio, Baptista, Hortensio). Conséquence malheureuse : c’est le sens de la pièce qui s’en trouve faussé. Si Shakespeare donne le pouvoir aux femmes, notamment en formulant une tirade exemplaire pour Catherine, ces dernières apparaissent sur scène comme faibles, fragiles et inférieures par rapport aux hommes. Le comble du contresens ! Alors que Vincent Winterhalter (Petruchio, initialement destiné à être interprété par Phillippe Torreton) développe un jeu vif et épatant, il ne trouve en face de lui qu’un répondant mal assuré, notamment lors de l’importante joute verbale avec Catherine.

Vincent Winterhalter
Vincent Winterhalter

D’autre part, le parti-pris commun à la traduction de Delphine Lemonnier-Texier et à la mise en scène de Mélanie Leray pourra décevoir. Le sens de la pièce – globalement restitué – se trouve surchargé d’un pesant message féministe. Ce dernier, pour être bien placé, devait nécessairement s’inscrire dans la continuité de la pièce, autrement dit dans le ton d’une comédie plaisamment moqueuse. Il n’en est rien, et nous voilà abreuvés de clichés lacrymogènes !

la mégère apprivoiséeDans cette veine déviée, une vidéo donne à voir dans un gros plan très « réaliste » le corps des comédiennes : tantôt la tête bâillonnée dans une cage, tantôt vautrée dans des liasses de billets de banque… Afin d’éviter une thrombose du sens, il convient de ne pas confondre actualisation et simplification – bien sûr, l’effet plait à un certain public ; et donc, à la direction de certains théâtres. Mais que gagne-t-on au final à soi-disant renouveler la truculence de Shakespeare par une traduction qui intègre des allusions à des émissions et séries télévisées ? C’est loin d’être évident et de tomber sous le sens. Bref, sans adopter une posture réactionnaire qui sacraliserait naturellement le texte, les choix d’adaptation de Delphine Lemonnier-Texier et Mélanie Leray sont discutables, sans pour autant nier l’intérêt des pistes, les efforts de recherche et même de bonnes trouvailles.

Ludmilla Dabo
Ludmilla Dabo

Ainsi, un travail remarquable a été effectué sur le plan de la scénographie. Le décor splendide représente un hall de casino (Las Vegas dans les années 70 ?) et renvoie aux enjeux de l’éternel rapport pouvoir-argent qui sous-tend la pièce. En outre, la projection d’un flux vidéo en direct informe le spectateur de ce qui se déroule en dehors du hall – par exemple, quand Bianca reçoit un cours d’un précepteur dans une salle de bain. Ce medium est magistralement utilisé lors du monologue de Catherine dans l’acte V ; par un jeu de rotation, cette dernière semble vouloir s’adresser au public qui, à ce moment, apparait à l’écran. Reste des choix mal concrétisés et un jeu féminin pour l’heure médiocre. Espérons à tout le moins que Laetitia Dosch apprivoise peu à peu la mégère afin d’aider l’ensemble de cette mise en scène à trouver ses marques et à se roder. Une première prématurée ne condamne pas nécessairement l’avenir.

Rennes, TNB du 8 au 17 janvier 2015. Tous les détails sont ici
Comédie de Clermont-Ferrand du 21 au 23 janvier 2015
Marseille, la Criée du 28 au 31 janvier 2015
Cergy-Pontoise, l’Apostrophe du 3 au 6 février 2015
Maison de la Culture d’Amiens du 10 au 12 février 2015
La Rochelle, La Coursive du 17 au 20 février 2015
Paris, Théâtre de la Ville du 4 au 20 mars 2015
Sceaux, les Gémeaux du 24 au 29 mars 2015
MC2 : Grenoble du 1er au 10 avril 2015
Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines les 16 et 17 avril 2015
Brest, le Quartz les 5 et 6 mai 2015
Maison de la Culture de Bourges du 11 au 13 mai 2015

la mégère apprivoisée

La Mégère apprivoisée ou comment dompter l’insoumise de William Shakespeare, mise en scène Mélanie Leray, traduction Delphine Lemonnier-Texie. Avec Peter Bonke (Baptista), Ludmilla Dabo (La Veuve), Laetitia Dosch (Catherine), David Jeanne-Comello (Hortensio), Clara Ponsot (Bianca), Yuval Rozman (Lucien), Jean-Benoît Ugeux (Grumio), Vincent Winterhalter (Petruccio), Jean-François Wolff (Gremio)

dramaturgie Delphine Lemonnier-Texier
scénographie David Bersanetti
lumières Christian Dubet
vidéo Cyrille Leclercq, David Bersanetti
son Jérôme Leray
costumes Laure Mahéo
assistants à la mise en scène Magalie Caillet-Gajan, Vincent Voisin
production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes
coproduction Association 2052 ; Théâtre de la Ville-Paris ; MC 2 : Grenoble ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène nationale ; Maison de la Culture de Bourges ; Maison de la Culture d’Amiens
crédit photo: Christian Berthelot et Béatrice Cruveiller

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