Chaque année depuis le 28 février 2012, le 11 novembre est une journée d’hommage pour tous les combattants morts pour la France, de toutes les guerres. Cette date reste et demeurera dans l’Histoire la date de la commémoration de l’armistice de la Première Guerre mondiale du 11 novembre 1918. Au lendemain de la Grande Guerre, pensant qu’elle serait « la Der des Ders », des monuments sont construits un peu partout en France. En Bretagne, certains sont typiquement bretons, ornés de mégalithiques et valent la peine d’être vus…
Avant 1918, c’est seulement quelques dizaines de monuments du souvenir qui sont érigés à la gloire de la Grande Armée et en mémoire des combattants anonymes de la débâcle de 1870 ; on les retrouve le plus souvent dans les cimetières.
L’hommage aux soldats disparus change de nature et de dimension après la Première Guerre mondiale. Entre 1918 pour les premiers et jusqu’en 1926, on assiste à la construction de 36 000 monuments aux morts sur l’ensemble du territoire français. Pour la première fois, les victimes sont nommées sur de longues listes de noms gravées sur la pierre des monuments, de manière à personnaliser chaque sacrifice et la solidarité de tous les citoyens soldats. La plupart du temps, c’est l’ordre alphabétique qui est retenu ; les grades n’y sont que rarement indiqués, pour une volonté délibérée d’unir, de réunir l’ensemble des combattants. L’initiative du projet provient pour la grande majorité des anciens combattants, motivés par deux raisons, d’abord parce qu’ils sont convaincus que cette guerre sera la dernière et pour que le sacrifice de leurs frères d’armes ne soit pas vain. Le monument aux morts apporte alors hommage au 1,3 million de jeunes hommes tombés sur le champ de bataille pour la patrie et sortis de l’anonymat. La citation inscrite sur le monument : mort pour la France introduit une grande importance pour la famille du disparu, car elle ouvre droit aux pensions pour les veuves et au statut de pupilles de la nation pour les orphelins.
L’État intervient pour accorder des subventions et réglementer les édifications ; les souscriptions publiques couvrent parfois la totalité des dépenses. Malgré les difficultés de la construction dues aux contraintes techniques très importantes : l’identification, l’acheminement et le listage des corps, plus de 95 % des communes françaises possèdent un monument aux morts en 1926. Tous s’accordent à exprimer publiquement la gratitude face au sacrifice et ce sont soit la place de l’église, la place de la mairie, ou la place l’école, d’autant plus s’il s’agit d’une marie école, à être choisies pour l’emplacement du futur monument aux morts !
Les modèles de monuments sont souvent standardisés recourant pour la statuaire à des moulages commerciaux, en raison de soucis financiers : ils connaissent un certain succès. Les monuments prennent alors la forme d’un obélisque ou d’une colonne, parfois accompagnés d’un poilu ou d’un groupe statuaire. Les communes les plus modestes qui n’ont pas les moyens financiers d’assurer l’élévation d’un monument grandiose se contentent d’une simple stèle ou d’une plaque.
En Bretagne, des journalistes, des écrivains, et des artistes font part de leur souhait de donner un caractère local à ces œuvres que l’on érige par milliers. Ils dénoncent l’uniformisation des statues achetées sur les catalogues des sociétés parisiennes. Le caractère breton des monuments s’installe au cœur des débats ! Parmi eux, il y a Yves Le Febvre qui est magistrat : juge de paix à Plouescat et publiciste à Lannion. Il propose que la banalité et l’aspect commun soient évités, parce que ces monuments commémoratifs sont destinés à traverser les siècles ! Il attire alors l’attention des municipalités bretonnes pour qu’elles s’adressent de préférence à de grands artistes ou de nobles ouvriers : des sculpteurs, des peintres et des graveurs, tous originaires de Bretagne, pour réaliser un travail plus traditionnel et personnalisé …
Cette volonté de rendre les monuments aux morts typiquement bretons s’inscrit dans le renouveau artistique breton du moment. Cette affirmation identitaire va s’appuyer sur trois emblèmes : l’hermine, le granit et les mégalithes. Déjà et sans surprise, le lien entre le monument et son terroir est concrétisé par l’utilisation de matériaux locaux : le granit et le schiste. La dimension économique de ces chantiers est de plus non négligeable au lendemain de la guerre. Elle s’appuie ensuite par l’utilisation de symboles qui renvoient à la Bretagne. L’hermine, symbole de la Bretagne, figure sur douze monuments dans le Morbihan ; sur sept monuments dans les Côtes du Nord (Côtes d’Armor de nos jours) ; sur un monument dans le Finistère ; sur quatre en Ille-et-Vilaine et sur cinq dans la Bretagne historique : La Loire-Atlantique.
D’autres communes bretonnes ont fait le choix de faire ressortir sur leurs monuments aux morts la Bretagne historique, typique et mythique. Les obélisques représentés prennent alors une forme à part, celle de mégalithes, de dolmens et de menhirs…
Le monument aux morts de Fougères, en Ille-et-Vilaine, est le premier à être érigé en Bretagne. Il est inauguré le 10 octobre 1920, en présence du sculpteur rennais Armel Beaufils (1882-1952) qui a réalisé l’œuvre. Il représente un enfant derrière une femme en deuil avec une couronne de laurier à la main qui se tient devant un menhir. Le menhir est orné de décorations militaires, dont la Croix de guerre au sommet. Le monument montre les armes de la ville. A sa base, des plaques portent le nom des Fougerais morts dans les différents conflits depuis la Première Guerre mondiale.
Au total, Armel Beaufils a réalisé neuf monuments aux morts entre 1918 et 1922, la plupart en Bretagne.
À Bohars dans le Finistère : inauguré le 11 juin 1922, le monument aux morts se situe dans le cimetière de la commune, non loin de l’église. Il est constitué de trois éléments : la statue d’un poilu, un menhir et une stèle cubique sur laquelle sont portés les soldats morts pour la France.
À Carnac dans le Morbihan : dans le cimetière de Bellevue, le monument aux morts est un monolithe en granit inauguré en 1921 : 139 poilus sont morts au cours de la Grande Guerre
À Quiberon dans le Morbihan : suite au conseil municipal du 3 juillet 1921, il est décidé d’ériger un monument aux Quiberonnais morts pendant la Grande Guerre. Le transport d’un menhir haut de cinq mètres, qui provient de la Pointe du Manémeur à côté des vestiges de l’allée couverte, va demander une semaine, pour rejoindre son emplacement rue Pouligner. C’est l’entreprise quiberonnaise Léon qui effectue la mission avec l’aide des artilleurs du Régiment d’artillerie de Forteresse. Le menhir est dressé par un système de bigue et de palan. Le monument est inauguré le 06 novembre 1921.
À Étables-sur-Mer dans les Côtes d’Armor, le monument aux morts est érigé en 1921 sur la place de l’église dans de la kersantite, une roche magmatique, désignée couramment en Bretagne comme étant le granit de Kersanton. Le monument est constitué à l’avant d’une croix latine et d’un menhir qui a été déraciné dans une lande voisine. Un poilu a été directement sculpté et gravé, à même le menhir, par l’artiste de Saint-Brieuc Francis Renaud (1887-1973). A l’arrière, une ancre et des plaques en bronze portent les noms des victimes de la guerre 1914-1918, où ont été ajoutés les noms des morts des autres guerres. La signature de l’auteur figure au bas de l’édifice à droite.
À Plobannalec-Lesconil dans le Finistère, c’est le caractère de la terre et de la mer de la commune qui est représenté sur le monument aux morts avec une ancre croisant une épée. Réalisé par Jean Joncourt, sculpteur et marbrier de Quimperlé (29), l’œuvre taillée dans la kersantite, représente un soldat portant son fusil à terre, écrasant de son pied droit un aigle allongé au sol pour symboliser l’Allemagne vaincue. Le soldat porte l’uniforme d’un Poilu, ainsi qu’une Croix de guerre : il est la représentation des soldats morts durant la Grande Guerre et décorés à titre posthume.
À le Vieux-Bourg dans les Côtes du Nord, le monument associe à la fois un poilu proposé sur catalogue par la Fonderie du Val-d’Osne en Haute-Marne et un menhir breton de cinq mètres de long et pesant vingt tonnes, retrouvé couché non loin de la commune ! En 1924, il est transporté sur trois kilomètres pour rejoindre le centre du bourg sur un chariot de bois traîné par une douzaine de paires de bœufs. Il est ensuite redressé pour être incorporé dans un monument en l’honneur des morts de la Première Guerre mondiale !
À Plozévet (29), il n’y a pas de combattants sur le monument aux morts ; c’est la détresse qui est soulignée ici, avec un paysan représenté abattu, déprimé. De même, pour celui de Penmarc’h (29). Il raconte le désarroi et la solitude d’une veuve qui est représentée debout : l’œuvre est réalisé par le sculpteur et médailleur Pierre Lenoir (1879-1953). Le monument a été financé par souscription et inauguré en août 1922.
À Quintin dans les Côtes du Nord, le monument qui se situe près de l’étang ressemble à un menhir, mais n’en est pas un ! Sa représentation a été sculptée par Elie Le Goff (1858-1938), sculpteur de Saint-Brieuc. Il représente une mère assise qui montre à son enfant le médaillon de son père vêtu en soldat, mort au combat.
Les trois fils du sculpteur, Elie, Paul et Henri Le Goff, qui se destinaient au même métier artistique que leur père, furent tous les trois tués sur le front. Le monument a été inauguré le 12 novembre 1922.
À l’exception de la Bretagne, du Pays Basque, de la Corse et de la Vendée aux identités marquées, on ne trouve que peu de traces de régionalisme en matière monumentale dans les autres régions et départements…