Décembre est surtout le mois des rééditions et des intégrales. C’est aussi l’occasion de regarder les publications de l’année pour faire son choix de cadeaux. Pour les autres. Ou pour soi-même. En toute subjectivité et variété.
Comment ne pas placer en tête de nos coups de coeur Dessiner encore de Coco (1)? La dessinatrice de Charlie, dans cet album exceptionnel, raconte la tragédie du 7 janvier 2015. Avec cette BD, on découvre la capacité de la dessinatrice à mettre des dessins sur des états d’âme, à multiplier les techniques de mise en page pour narrer et montrer. Le dessin permet d’utiliser la métaphore et c’est lui qui nous fait nous envoler avec Coco sur un bel oiseau, tenter de s’accrocher à ses ailes, se tenir debout sur son dos, avant de chuter. Plus tard, comme dans les cases d’un échiquier mortel, aux carrés rouges et noirs, on imagine toutes les situations, à l’entrée de la salle de rédaction, le 7 janvier : « Et si je », « Et si ». Autant de cases comme autant de possibilités de jouer entre la vie et la mort. Autant de cases talentueuses et inoubliables.
Autre autrice incontournable de cette année, la Néerlandaise Aimée de Jongh et son album Jours de sable (2) récompensé au festival Quai des Bulles de St Malo. C’est en solo qu’elle réalise cette fresque sur la crise économique et climatique des années trente dans le centre des États-Unis. S’appuyant sur une solide documentation, elle raconte l’expérience d’un jeune photographe engagé pour montrer la crise dans l’Oklahoma. L’autrice dessine la vie quotidienne de fermiers enfermés dans leur pauvre maison pour lutter contre les tempêtes de sable et la misère qui se glissent dans les moindres interstices. S’interrogeant aussi sur le sens de l’art photographique Aimée de Jongh signe un récit initiatique magnifique.
Plus souriant et aussi réussi est incontestablement Tananarive (3) de Sylvain Vallée et Mark Eacersall. Deux retraités voisins : un ancien notaire, triste et déprimé et un ancien aventurier, gai et fantasque. L’aventurier décède et le notaire enquête sur son ancien ami. Il découvre que Tananarive peut s’appeler en fait Charleville-Mézières ou Maubeuge. Humour, humanisme, tendresse, goût de l’aventure, force de l’amitié, regard sur la vieillesse, autant de thèmes qui traversent cette BD où tout est juste, y compris dans le découpage des scènes et une mise en page parfois onirique, parfais ultra réaliste, toujours horizontale, qui fait que la BD se lit comme un roman. Un sourire, ou même parfois un grand éclat de rire dans une production souvent sombre. D’autres animaux cette fois-ci que ceux de Tananarive en couverture.
Très connus, ce n’est pas une raison de les bouder car Blacksad (4) et son tome 6 sous titré Alors, tout tombe est une vraie réussite. Placée cette fois-ci dans le New-York en construction et le chantier de son métro, le chat détective va être employé par le président du syndicat des travailleurs pour lutter contre le maître bâtisseur de la ville, Solomon. Avec ce premier opus d’un diptyque, on retrouve le dessin magnifique et les thèmes classiques des auteurs espagnols : mafia, critique sociale, enquête policière. Cela valait la peine d’attendre 8 ans. Déjà un classique.
« Chef d’oeuvre », le mot n’est pas trop fort pour désigner « René.e aux bois dormants » (5) la première BD de Elène Usdin, qui réussit son entrée dans le monde du neuvième art avec cet album qui nous fait pénétrer par son étrangeté et son dessin exceptionnel dans un univers proche d’Alice au Pays des Merveilles, mâtiné de créatures terrifiantes ou bienveillantes. Un monde onirique fabuleux qui raconte l’histoire de René parti avec son doudou Sucre-doux. Rationaliste s’abstenir, mais rêveur et amateur d’histoires, laissez-vous séduire par les couleurs fantomatiques d’un album révélation de cette année.
Il n’a pas fait beaucoup de bruit et on peut vraiment le regretter car l’album #J’accuse…! (6) de Jean Dytar mérite vraiment qu’on s’y arrête. Bien entendu il s’agit encore de l’affaire Dreyfus, mais plutôt que racontée sous l’emprise d’une histoire folklorique revue et corrigée par un saltimbanque, c’est avec une précision d’historien que le dessinateur déroule cette affaire vue sous le prisme exclusif de la presse quotidienne de l’époque. Grâce à une narration très dense, mais d’une grande fluidité la complexité de l’affaire est parfaitement traduite en un récit clair, précis, où l’auteur n’intervient que par le choix éclairant des textes qu’il met en lumière sans commentaires personnels. Un regard de spectateur sur une période qui rappelle malheureusement la nôtre dans ces mensonges historiques comme dans l’hystérie des relais d’information. Le tout dans un magnifique coffret.
Autre retour dans le passé avec Des Vivants (7), cet album de Meltz, Moaty et Roussin qui décrit un réseau de résistance en 1940 au musée de l’Homme à Paris. Une BD hors des sentiers battus grâce à un dessin aéré et léger qui contraste avec une histoire solidement documentée. Tous les propos rapportés dans l’ouvrage ont été extraits de documents authentiques et donnent à l’histoire un caractère réaliste passionnant.
Une documentation énorme aussi pour une BD d’aventure, Le Voyage du Commodore Anson (8) signée de Christian Perrissin et Matthieu Blanchin. Quatre ans de travail pour raconter une expédition de quatre ans également en 272 pages comme si les auteurs avaient voulu coller jour par jour aux basques de leur héros, le Commodore Anson. Nous sommes en 1740, alors que les puissances du monde sont en guerre, le Commodore se voit confier une escadre de huit navires et de deux mille hommes par le roi d’Angleterre George II. Sa mission est multiple : harceler, capturer, piller, occuper, rançonner du Cap Horn en passant par le Cap de Bonne Espérance, avec une attention particulière pour les côtes d’Amérique du Sud. Son navire s’appelle le Centurion, ses hommes, Saunders, Eliot, Brett, mais aussi le lieutenant Philip Saumarez qui tint un journal de bord quotidien retrouvé en 1970 et le jeune Richard Walter auteur du Tour du Monde paru en 1748 qui connut un succès littéraire énorme. Cette BD répond à tous les codes du genre et se lit comme un roman de Stevenson.
Un dernier album inattendu pour clore cette modeste sélection avec un ouvrage hors normes destiné a priori aux enfants, mais qui fera le bonheur de la famille entière. Une toute petite seconde (9) est le titre de ce bijou de Rebecca Dautremer, autrice notamment d’une adaptation Des souris et des hommes d’après Steinbeck (dans notre sélection BD 2020). Un dessin qui se déploie sur deux mètres de long, où tout est à découvrir, le temps d’une petite seconde où son héros récurrent le lapin Jacominus va voir son destin basculer avec lui, dans l’escalier de la véranda familiale. Il faudra plus d’une seconde et certainement de nombreuses heures pour découvrir les richesses cachées de ce dessin à la Brueghel accompagné d’un récit passionnant de 100 micro-fictions savoureuses, contées dans un livret glissé en ouverture. Fabuleux.
Il ne reste plus qu’à remplir la hotte du père Noël avec les BD de votre choix et profiter ensuite de bons moments de lecture au coin du feu. Bonne sélection.
(1) Éditions Les Arènes BD (2) Dargaud. (3) Glénat (4) Dargaud (5) Sarbacane (6) Delcourt (7) Éditions 2024 (8) Futuropolis (9) Sarbacane.
Sur l’affaire Dreyfus, à lire également : Rennes se souvient et en parle.