40 ans mode d’emploi, de Judd Apatow, sortie le 13 mars 2013, 2h14
Avec Paul Rudd, Leslie Mann, John Lithgow, Megan Fox, Maude Apatow, Iris Apatow, Chris O’Dowd, Jason Segel, Melissa McCarthy
Chez Hawks ou chez Capra, quand on était marié depuis trop longtemps, on tentait d’empoisonner son conjoint ; et c’était cette tentative qui faisait le film. Chez Judd Apatow, on se contente d’en parler. Le dialogue devient alors pure potentialité, récit de tous les films qu’on ne verra pas. Il est déconnecté de l’écrin de normalité riche du décor, qui semble indestructible.
Dans 40 ans mode d’emploi, il n’y aura pas non plus ni meurtre ni braquage. La folie maximale sera atteinte lors d’un petit tour solitaire de lotissement à vélo. Alors où est le cinéma ? Dans cet écart justement, entre la parole vive et les corps brimés et consentants. Entre la violence des mots et le statisme des situations. Le cinéma est dans cette zone de doute : que croire ? Ce qui se dit, ou ce qu’on voit ? Ni l’un, ni l’autre.
La grande obsession de Judd Apatow, c’est la relativité. Le film cite souvent Lost. Pas d’île déserte ici, mais des personnages perdus dans la relativité de leurs désirs et de leurs perceptions, de leurs actes et de leurs sentiments. Un jour on se dit qu’on ne s’aime pas, et le lendemain on se fait des serments pour la vie. On va jeter les gâteaux à la poubelle (summum de la liberté de conscience pour le héros de la société de consommation), mais on en mange quand même quelques morceaux face à la benne. Il y a deux désirs en même temps : celui de ne pas manger, et celui de manger.
Au final, rien n’est vrai. La seule vérité c’est la confusion. On ne sait jamais si ce qu’on voit est triste ou gai, convenu ou décapant. Ce n’est rien de tout ça, en fait. C’est seulement confus. Et même quand le décor s’effondre, on sait qu’il y en aura un autre et que tout sera absolument égal. La faillite annoncée du héros n’ouvrira aucune piste, aucune menace de métamorphose de l’entrepreneur en clochard. La fête d’anniversaire ne sera pas annulée, elle sera seulement ratée. Tout se passe comme si les personnages avaient accès à tout sans jamais rien posséder. 40 ans mode d’emploi rompt ainsi définitivement avec le conte classique hollywoodien du self-made-man, où il y avait identité entre l’homme et sa fortune.
À la fin de Lost, tous les personnages meurent. C’est l’impression qu’on a à la fin de 40 ans mode d’emploi, même si personne ne meurt : une morbidité à l’œuvre. Cette société tient bon. Il n’y a pas d’autre monde. Pas d’île déserte. La relativité et la confusion ne sont pas des zones d’errance avant de fabuleuses illuminations ou de terribles clartés. La conscience est fantôme, errant entre le décor et la parole, ne trouvant jamais l’acte, mais toujours des sursis. Chaque scène est infestée par le rêve de ce qu’elle ne sera pas.