La BD Le jour d’avant revit le jour d’après…

bd jour avant

En adaptant en bande dessinée, chez Steinkis, le magnifique roman Le jour d’avant de Sorj Chalandon relative à la catastrophe minière du 27 décembre 1974 à Liévin, Dutter et Géliot donnent des visages aux victimes et apportent un souffle complémentaire au récit. Le jour d’avant, une BD majeure de ce premier semestre 2024.

Il s’appelait Jojo. Jojo, comme le musicien de Jacques Brel, celui qui dans la chanson est « six pieds sous terre ». Deux Jojo qui auraient pu se rencontrer, celui réel, ami du chanteur, et celui fictif du roman de Sorj Chalandon « Le jour d’avant ». Ils étaient voisins dans ce Nord de la France proche de la Belgique. Ils vivaient dans les années 1970, dans ces pays de mines et de charbon, dans ces paysages de terrils où les chevalements rayent l’horizon au moment du « grand printemps d’hier » et du « soleil de misère ». Dans le bassin minier de Lens, la détresse, le chômage, on les craint au cours de ces dernières années d’exploitation. Aussi lorsque le père agriculteur déclare à Jojo son fils ainé « T’iras pas au charbon, t’iras au chagrin », il s’agit d’un ordre, celui de ne pas embaucher à la mine proche de Liévin. Jojo ne peut obéir, désireux de connaitre ce métier, avec son histoire, sa fierté. Fier, il l’est de montrer à son petit frère Michel, la salle des pendus, la solidarité entre collègues même si on craint l‘écroulement des galeries, et encore plus le coup de grisou, ce gaz explosif qui a tué depuis plus d’un siècle des centaines de gueules noires. Alors ce 27 décembre 1974, quand les mineurs reprennent le travail après la trêve de Noël, quarante deux d’entre eux ne s’imaginent pas qu’il s’agit de leur dernière descente. Un quarante troisième, décèdera le 22 janvier 1975. Il ne figure sur aucune des listes officielles. Il s’appelle Joseph Flavent. Ou plutôt Jojo. Celui à qui le père a demandé de ne pas descendre et auquel Chalandon donne vie. Michel, son frère cadet, décide alors de consacrer son existence à le venger: « J’allais venger mon frère, mort en ouvrier (…). J’allais tous nous venger de la mine. Nous laver des Houillères, des crapules qui n’avaient jamais payé leurs crimes ».

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Sorj Chalandon, journaliste de métier, a besoin du réel pour écrire ses romans. C’est cette catastrophe, la plus meurtrière dans la France d’après-guerre, qui sert de support à son livre magnifique (1). Michel y raconte ses souvenirs, sa quête de vengeance. Un récit à la première personne que Dutter et Géliot reprennent de manière remarquable avec un découpage adapté à la noirceur du sujet. Michel fait penser à Blast de Larcenet, par son physique alourdi et son absence d’expression notamment, mais aussi par son comportement mutique, mystérieux, asocial. Peu à peu l’adolescent prend les traits d’un grand benêt en apparence, marqué par la souffrance d’une adolescence endeuillée. Un grand costaud détenteur d’un secret, clé de voute de son existence. Chalandon excelle dans cette introspection. Les auteurs de la BD réussissent en lui donnant une physionomie concrète à lui fournir un corps. 

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Au fil des pages, le récit prend la forme d’une énigme. La Bd se lit alors comme un roman policier qui ne saurait occulter la richesse psychologique de l’histoire, l’intériorité d’un être indissociable des rues des corons, des chevalements, « de la tour de ciment gris », des cheminées. Destin d’un homme mais aussi reconstitution d’un monde. Ces galibots, piqueurs, boiseurs, boutefeux que le romancier évoquait, Simon Géliot leur donne des visages et nous les montre se rendant à leur travail, « une armée de charbon ». Un passage des mots à l’image d’une force et d’une vérité touchante. Le style de Chalandon est fait d’humanité, de simplicité, d’empathie avec les plus faibles. Le scénario et les mots retenus de Dutter sont d’une fidélité exemplaire au texte du romancier. Une fidélité telle, qu’une fois encore, sept ans après la parution du roman, les larmes viennent aux yeux, comme un symbole d’une adaptation parfaite. 

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Jean Teulé, dessinateur avant de devenir romancier, avait décidé de laisser totalement libre les créateurs qui adaptaient ses romans en BD. A l’identique, Sorj Chalandon précise dans sa préface qu’il n’a « aucun droit de se glisser dans l’oeuvre d’un autre pour la critiquer ». Il doit être ici plus qu’heureux d’avoir laissé cette liberté à Romain Dutter et à Simon Geliot. Ils réalisent avec cette mise en images, une BD majeure de ces derniers mois. Addictif comme un polar, et surtout, humain comme un hommage, rendant la vie à ces hommes morts pour des raisons économiques. 

Le jour d’avant d’après le roman de Sorj Chalandon. Scénario: Romain Dutter. Dessin et couleur: Simon Geliot. Assistants couleur: Francesco Antonelli et Alessandra Alexakis. Editions Steinkis. 240 pages. 26€.

La BD est enrichie en fin d’ouvrage d‘un cahier documentaire d’une dizaine de pages.

(1) Paru en 2017. Editions Grasset. 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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