BD Putzi, clown nazi ou monstre ?

putzi bd

Un dignitaire nazi peut il être un simple pion gonflé d’orgueil dans une machinerie didactoriale qui le dépasse? En adaptant le roman « Putzi » de Thomas Snégaroff, Louison nous invite à répondre nous même à cette question abyssale.

« Etait il un monstre ? », « Etait il un clown? », « Faut il choisir ? ». Trois questions qui clôturent cette BD. Trois questions que l’on se pose tout au long de cette adaptation du roman « Putzi »  de Thomas Snégaroff qui s’adressant à son personnage réel, ajoutait dans son récit « Seul face à un miroir, que pensais tu? ». Ces questions existentielles concernent un homme, un géant de deux mètres, qui occupe par sa stature la grande majeure partie des cases de la BD. Par dérision, par moquerie déjà, on le surnommait Putzi, « Petit bonhomme ». Tout est ainsi chez Ernst Hanfstaengl, tout est contradiction.

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Marchand d’art dans le New-York des années 1910, musicien à ses heures, excentrique, raciste assurément, il va être fasciné par un petit nabot de 1m72, à la voix gutturale, à la moustache ridicule, asexué mais amoureux platonique de sa propre femme. il va même jusqu’à lui donner de l’argent pour ses débuts politiques, lui jouer des airs de Wagner. Il devient l’ami provisoire d’Hitler.  

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Pour remercier le géant, l’ancien caporal va le nommer en 1933 responsable de la presse étrangère. Putzi jubile alors, il est dans l’Histoire. Mais l’ascension au pouvoir aiguise les appétits et les rancœurs. Chacun joue des coudes pour se faire une place près du maître du Reich. Et Putzi va chuter, incrédule. Chuter du sérail. Chuter en parachute d’un avion commandité par Hitler, ce dernier prouvant ainsi qu’il pouvait avoir de l’humour (noir bien entendu).  Putzi va quitter piteusement l’Allemagne, pour se retrouver quelques mois plus tard, près de Roosevelt, devenu premier informateur sur le Führer. Et mourir ensuite, tranquillement, dans son lit.

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Dans son roman, le journaliste et historien, privilégiait la description du pouvoir nazi et la fascination qu’exerçait le peintre en bâtiment sur le peuple allemand. Louison, dans sa commune adaptation graphique, resserre le propos sur les relations personnelles entre la masse corporelle un peu gauche de Putzi et la raide petitesse de Hitler. Le gros balourd et le maigre caractériel. Si la suite de l’histoire entre les deux hommes n’était pas marquée du signe d’une tragédie mondiale, on aurait presque envie de rire de ces deux « incomplets ».

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Le futur leader politique, qui fut refusé à l’entrée des Beaux Arts, manque de culture face au galériste. Dans la grande voiture conduite par Putzi, il est minuscule à l’arrière comme un petit vilain garnement grondé par ses parents.

Le musicien amateur au regard perdu derrière d’immenses lunettes semble ne rien comprendre à son monde environnant. Il est grotesque avec sa tenue nazie comme un adolescent un jour de carnaval.

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Etre dans l’Histoire et l’ambition première de Putzi dont on ne semble être certain que d’une seule conviction idéologique: son racisme anti-juif. On le devine excité au moindre signe de connivence d’Hitler, prêt à guetter un sourire, un regard favorable, un signe d’adoubement. La BD, formidablement menée, laisse toujours en suspens chez Putzi la part réservée à l’idéologie et celle liée à l’opportunisme. A sa manière de traverser le temps et les évènements on peut penser que la préférence du colosse va au pouvoir, quel qu’il soit. A la manière de dessiner de Louison, on ne peut écarter l’idée qu’il joue un rôle, celui du parfait benêt, avec un cynisme accompli. 

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Louison utilise peu de couleurs, réduisant cette sombre période à des tonalités verdâtre, rouge ou marron, celles qui ne donnent pas envie de rire ou de s’amuser. Dans sa préface Thomas Snégaroff confie que la dessinatrice a éprouvé une forme de vertige à enchainer les dessins de croix gammées. C’est à une autre forme de vertige que nous invite cette BD, le vertige du doute, celui de compatir ou celui d’être berné.  

Alors clown ou monstre? Chacun aura, après sa lecture, son opinion. Chacun aura été placé dans les conditions de nombreux jurés des tribunaux d’exception d’après guerre. Une tache qui dut être rudement difficile. Et parfois, peut-être, injuste ou impossible.

PUTZI. Adaptation de Louison et de Thomas Snégaroff d’après son roman. Dessin de Louison. Editions Futuropolis. 160 pages. 23€.

(1) Gallimard 2020. Editions Folio.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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