Avec Arca, thriller biblique, Béatrice Thony emprunte des chemins abyssaux

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Béatrice Thony revient avec Les chemins abyssaux, le tome 2 de la saga Arca, publié aux éditions Chemins de Tr@verse. Dans cette nouvelle histoire haletante, les enquêteurs Cazaud et Kalys font face à des ennemis impitoyables, des énigmes anciennes et des révélations stupéfiantes.

Treize ans – chiffre fatidique – après nous avoir révélé La prophétie du trône de gloire (Chemins de tr@verse, 2011) et, au prix d’une inépuisable imagination, identifié le point de chute de l’Arche sainte où Moïse enferma ses Tables de la Loi, Béatrice Thony, juge d’application des peines dans le civil et ineffable poète dans le privé, convoque à nouveau ses brillants enquêteurs – Cazaud et Kalys – pour les lancer sur la piste des deux précieuses pierres taillées qui, selon la croyance commune aux trois monothéismes surgis du Buisson Ardent au cœur du Sinaï, assureraient la domination du monde. Et les voilà lancés, pour notre plus grand plaisir, sur Les chemins abyssaux qui mèneront à la découverte définitive – celle des pierres précieuses autant que de l’ultime vérité – et à la clôture du cycle d’ARCA, « roman ésotérique » autant qu’exotique, dont l’extravagance est à la mesure de la divagation des personnages.

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Alors que « le destin de l’humanité pend au fil de l’inconnu », comme l’exprime pertinemment Michel Morvan, préfacier et éditeur de ce livre, la romancière Béatrice Thony entend revisiter les mythes fondateurs de notre civilisation occidentale, née de l’errance mosaïque au désert du Sinaï, relayée dans son parcours par la route abyssale des Croisades, l’épopée tortueuse des Templiers et l’interminable chemin de Compostelle, ce Campus Stellae, en s’interrogeant sur la fiabilité de pareille étoile. Dieu d’amour et de bonté, Dieu de puissance et de justice, qu’en est-il du message lorsque les mythes se retournent comme des gants ? On ne dévoilera pas les arcanes de ce récit tumultueux qui mène le lecteur, du refuge paradisiaque et majorquin des deux enquêteurs au terrain accidenté du plateau de la Margeride, au cœur de l’Auvergne, avec diverses haltes du fameux pèlerinage qui, de Chartres, magnifiquement décrite à travers les vitraux bleus de sa cathédrale, à Compostelle où reposeraient les restes de Jacques le Majeur qui évangélisa l’Espagne, en passant par le Puy-en-Velay, « haut lieu de pèlerinage marial » avec sa Vierge Noire recélant ici un précieux sésame, jusqu’à ce bout du monde qu’est – point final du Camino de Santiago – le cap Finisterre en Espagne, finis terrae de notre Occident qui fut The place where the world became a man, ce « lieu où le verbe est devenu un homme », comme le chanta « de sa voix grave et rocailleuse » ce descendant des Cohen, grands prêtres fils d’Aaron frère de Moïse, prénommé Leonard.

« Mais il nous reste le récit de la confrérie des Tables : le mystère qui a tenu en haleine des générations de chercheurs depuis 3000 ans », et c’est au dévoilement de ce récit que s’attache, sur les pas des deux enquêteurs, la romancière, commentant la course dans un sourire qui est le signe de son scepticisme – un doute évidemment pascalien – et sacrifiant le pari de Blaise sur l’autel de la vérité. Peut-on croire vraiment, comme les alchimistes, que le plomb se changera en or, tout comme ici, par la grâce de pierres « divines », le sang du sacrifice se fera veau d’or ? Ce qui s’affiche sur l’écran est un tout autre message, et quand le rideau du Temple se déchire, c’est pour laisser apparaître cette insolite vérité :

« Dans le sang de ton ennemi tu puiseras ta force
Sur le trône de gloire tu le répandras
Par ta loi qui règne et le dieu de Lumière
Tu obtiendras richesse et gloire
Tu domineras la terre et tu la soumettras. »

En vérité, c’est de cela et de l’outrancière guerre qu’il faut fuir, et l’autrice se fait volontiers prophétesse. Car nous vivons un temps où le spirituel ne s’opère que par le fer, le feu et le sang, chaque tribu prétendant agir au nom d’un Dieu qu’elle s’est annexé ; un temps qui, d’année en année, épuise un peu plus tôt les réserves de la terre, si bien que l’homme n’est plus qu’une grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf :

« Bien sûr, cette société technologique avait augmenté l’espérance de vie… À présent lui succédait la mortalité par surconsommation alimentaire, et des dizaines de millions d’obèses décédaient prématurément après des années de handicap social et physique. »

Alors que le discours apocalyptiques remplit les colonnes des journaux et les réseaux sociaux, revisitant avec une fausse désinvolture les mythes fondateurs, Béatrice Thony jette à la mer ces vieux démons qui depuis deux mille ans et plus déchirent les pages de notre Histoire. D’où cette interpellation à l’homme d’Église :

« Comment peux-tu croire encore à un monde meilleur quand on lit l’actualité ? Regarde ce qui se passe au Moyen-Orient, le berceau du monde, et bientôt peut-être son sépulcre. »

Mais que peut la noirceur millénariste devant l’espoir qui, comme le disait Verlaine, grand pécheur devant l’Éternel, « luit comme un brin de paille dans l’étable » ? Balayant le fatras apocalyptique qui fait florès dans nos médias, l’autrice choisit comme porte-parole un curé qui, en fin de compte, et en parfaite inadéquation avec l’orthodoxie, saura tirer le fil de vérité de l’écheveau enchevêtré des « événements » :

« Moi, au terme de mon cheminement, répondit l’ecclésiastique, j’ai appris qu’un arbre qui tombe fait plus de bruit que toute une forêt qui pousse. J’ai appris à contempler la forêt. »

Merveilleux dicton sur la montée des Justes qui souligne la sagesse hors normes et, finalement, hors religions, de la signataire de ces lignes. Et c’est l’ultime geste de ce prêtre aussi insolite qu’extravagant, du haut des falaises galiciennes :

« Il laissa choir son fardeau sur le sol pierreux de ce cap qui fendait la mer. Il s’empara des deux lourdes plaques de pierre et tourna son regard vers le soleil couchant. Il demeura dix minutes immobile, silencieux, à contempler le spectacle grandiose de l’astre disparaissant peu à peu derrière la ligne d’horizon dans une symphonie d’oranges, de mauves et de gris. Puis il s’avança à l’extrême bord de la falaise et y précipita les pierres. Elles explosèrent sur les rochers et se fragmentèrent en de multiples éclats avant d’être englouties par les flots tumultueux. »

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Costa da morte

Ce récit s’organise comme une saga. Certes, on pourra penser au fameux film de Spielberg, Les Aventuriers de l’Arche perdue, dont la source avouée est le mirobolant Homme de Rio, alias Jean-Paul Belmondo, de Philippe de Broca, qui prit sa source nulle part ailleurs que dans Tintin. Les péripéties d’une aventure. Les aléas labyrinthiques d’une quête. Mais au-delà des tours et détours, et des virevoltes d’une enquête conduite dans les règles du meilleur thriller, on trouvera cette petite étincelle de sagesse orientale donnant son meilleur éclat à un cheminement et un périple qui pourrait bien être une aventure de l’esprit.

ARCA Les chemins abyssaux de Béatrice Thony, préface de Michel Morvan, Éditions Chemins de tr@verse, Neuville-sur-Saône, 2024, 350 p., 22 €

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Albert Bensoussan
Albert Bensoussan est écrivain, traducteur et docteur ès lettres. Il a réalisé sa carrière universitaire à Rennes 2.

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