BD. Julien Martinière met en images À la ligne de Joseph Ponthus

a la ligne julien martinière

En adaptant le roman à succès de Joseph Ponthus À la Ligne, Julien Martinière crée une oeuvre originale qui s’inspire du récit écrit pour en garder l’esprit général.

« À la ligne », comme une injonction d’un(e) professeur(e), énonçant une dictée. Comme un rapport aux mots et à la littérature.

« À la ligne », comme l’ordre d’un contremaître demandant à un ouvrier de se mettre au début de la chaîne. Comme un rapport au monde ouvrier et à l’usine.

À la ligne de Joseph Pontus est le livre qui dit, sous la forme des mots, le travail en usine, le quotidien de milliers de personnes peu reconnues dans l’univers des romans et des fictions. Publié en 2019, le « roman » après un passage de l’auteur à la Grande Librairie connait un énorme succès avec 175 000 exemplaires vendus. Il raconte l’histoire autobiographique de Joseph, employé intérimaire qui embauche dans les usines de poissons bretons, dans les abattoirs de cochons. Il dit un monde presque aussi souterrain et mystérieux que celui des mineurs du Nord. A la description minutieuse d’une aliénation, Joseph Ponthus associe une écriture singulière, comme une ode poétique en prose d’une grande fluidité. Il décèdera deux ans plus tard à l’âge de 48 ans.

Mode éditoriale ou demande des lecteurs, les adaptations en BD d’oeuvres littéraires se font de plus en plus nombreuses. À chaque parution se pose la question inévitable : qu’apporte au texte initial sa mise en images? C’est Julien Martinière qui pose ici ses crayons noirs pour accompagner le récit de l’expérience douloureuse du travail et tente de répondre à cette question.

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L’illustrateur apporte d’abord une description visuelle minutieuse des lieux de travail donnant un cadre physique imposant, traduisant par un dessin minutieux, presque documentaire les odeurs et les bruits, mieux que les mots. Nous sommes gelés dans les chambres froides où sont accrochés des centaines et des centaines de cochons. Nous sommes éreintés avec Joseph quand nous avons transporté avec lui des centaines de kilos de crevettes triées. Ce cadre s’efface et laisse la place aux fonds blancs quand il s’agit de décrire minutieusement les gestes répétés pendant huit heures successives. Les mains, débranchées du cerveau, en une vingtaine de cases éventrent, vident, coupent des poissons et crevettes devenus invisibles, abstraits. Les corps entament une chorégraphie mystérieuse que Julien Martinière saisit comme un ballet de Pina Bausch. Sans les mots de Ponthus, les crayons disent la mise en sourdine de la pensée, le doux et difficile abandon à la répétition sans fin.

Quand les mots sélectionnés disent des sentiments, des pensées, Julien Martinière dessine souvent le quotidien hors l’usine. La nuit, magnifiquement et précisément dessinée, rythme une vie décalée. Aux bruits de l’usine succèdent comme un précieux remède, l’amour d’une compagne, les lectures reposantes et les balades dans la nature avec le chien Pok Pok. Les haies devant l’usine, les chemins de campagne éclairés par la lune sont minutieusement dessinés comme un contre point aux détails des chaines de production.

Le monde collectif des ouvriers n’est pas oublié. Joseph lui-même, mais aussi Nathan, Fabrice, le « chef », prennent corps et visages d’une mini société, certes souvent solidaire, mais pas idéalisée. Le racisme violent, la fainéantise et la roublardise de quelques uns sont clairement dits, écrits mais aussi dessinés avec de subtiles métaphores visuelles guerrières ou poétiques. À l’esthétique des mots, le dessinateur ajoute l’esthétique des dessins en noir et blanc comme dans des rêves, tel le texte de Ponthus qui allie le banal du quotidien à la poésie de quelques moments volés.

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Finalement, il reste peu du texte original. Les extraits sont souvent courts et peu nombreux. La forme originale de l’écriture a disparu. C’est une oeuvre nouvelle qui naît en dessins, une oeuvre que nous qualifierions d’inspirée par le roman. Avec un autre moyen d’expression et des images fantasmées marquantes qui rappellent celles de la guerre 14-18 de Tardi, il reste cependant la chronique d’une vie passagèrement ouvrière, empreinte de joie, de fatigue, de colère. Aliénante, parfois porteuse de bonheur. Et rarement racontée. Ou montrée.

À la ligne. Feuillets d’usine de Julien Martinière d’après le roman de Joseph Ponthus. Editions Sarbacane. 208 pages. 25€

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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