Rentrée littéraire. Avec Houris, Kamel Daoud donne voix aux victimes de la décennie noire en Algérie

houris kamel daoud

Houris est le dernier roman de Kamel Daoud, publié aux éditions Gallimard. L’auteur brise le tabou de la guerre civile algérienne en racontant l’histoire d’Aube, personnage principal qui a survécu d’un égorgement à l’âge de cinq ans.

La guerre civile en Algérie (1990-2000) a fait 200 000 victimes. En 2005, la charte pour la paix et la réconciliation nationale rend passible d’une amende et d’une peine de prison toute personne qui évoquera les faits de la décennie noire.

Aube, le personnage principal du roman, a été égorgée le 31 décembre 1999 dans le village de Had Chekala. Elle n’avait que cinq ans. Ses parents, sa sœur, ses voisins et les membres d’une douzaine de tribus locales ont été tués par les terroristes réfugiés dans les montagnes de la chaîne des Ouarsenis. Miraculeusement, Aube a survécu. Sur la route entre Relizane et l’hôpital d’Oran, elle naît une seconde fois le premier jour de l’an 2000. Khadija, une avocate de renom, elle-même orpheline, adopte la petite fille. Redonner une voix à Aube devient le combat de sa vie.

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Vingt ans plus tard, Aube affiche comme une arme son sourire figé. Une cicatrice de dix sept centimètres qui va d’une oreille à l’autre et une canule dans la gorge pour respirer.

«  Je cache l’histoire d’une guerre entière inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant. »

Si elle ne maîtrise plus sa voix extérieure, Aube parle intérieurement à l’enfant qu’elle porte. Le père a préféré prendre la mer. Cet enfant, elle a décidé de lui épargner la vie. Car une femme ne peut pas vivre librement dans ce pays.

« Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant. Car dans ce pays, on nous aime muettes et nues pour le plaisir des hommes en rut. »

Libre, indépendante, Aube possède un salon de coiffure, scandaleusement nommé Shéhérazade, situé en face de la mosquée au cercueil. Ses journées sont rythmées par les appels du muezzin. Mais le salon est un lieu de résistance où les femmes voilées profitent de l’heure de la grande prière du vendredi pour aller se faire épiler. Aube ne porte pas le voile, elle fume, boit de l’alcool, arbore des tatouages. Elle est la cible de l’imam. Si il ne peut s’attaquer directement à une martyre, il n’hésite pas à saccager son salon de coiffure.

Alors que Khadija tente une fois encore de programmer une opération des cordes vocales avec un chirurgien à Bruxelles, Aube prend la route vers son village natal. C’est pour elle un voyage vers la vérité. Avec la culpabilité de la survivante, elle ressent le besoin de consulter sa sœur en ce qu’elle appelle L’endroit mort.

En chemin, elle se fait attaquer par deux hommes et secourir par Aïssa Guerdi, un libraire et fils de libraire. Estropié lors des attaques des égorgeurs, contraint de se taire et de ne vendre que des corans ou des livres de cuisine, il sillonne les routes avec sa cargaison de livres. Sa rencontre avec Aube est un signe du destin. Elle est la preuve vivante des faits de la décennie noire qui le rongent depuis tant d’années. Donnez-lui un nombre, il vous dira la date d’un massacre, le nombre et les noms des sacrifiés.

Il y aura d’autres voix sur le chemin d’Aube. Chacune d’elle est vive, forte, délivrée avec urgence, avec ce besoin viscéral de dire enfin ce que le corps enferme.

« L’oubli, c’est la miséricorde de Dieu, mais c’est aussi l’injustice des hommes. »

Kamel Daoud signe dans une langue puissante, poétique un roman sur la résurrection. Un chemin qui passe par la voix vibrante, intérieure d’une femme muette. Malgré les scènes insoutenables des massacres, l’auteur transmet beaucoup d’amour et de sensibilité. Et finalement, la force de ses personnages fait germer la vie sous les décombres. Un voyage tourmenté mais nécessaire vers la lumière des étoiles.

Journaliste et écrivain, Kamel Daoud, né en Algérie et naturalisé français, a reçu le Prix Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête en 2015. En lice pour le Prix Goncourt 2024, Houris est jugé illégal en Algérie. Gallimard, son éditeur, a été prié de ne pas se rendre au salon du livre d’Alger en novembre.

Houris de Kamel Daoud, éditions Gallimard, 416 pages, publié le 15 août 2024, prix : 23 euros, ISBN9782072999994

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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