Rencontre, Travesias (Chantal Bideau) et Le geste exilé (Pascale Houbin)

Le geste ? On pense à la main. Les exilés ? On en croise tous les jours sans les voir ou sans s’en soucier. Le principe de cette œuvre d’art filmée par la chorégraphe Pascale Houbin aborde le thème de la transmission intergénérationnelle chez des femmes d’origine étrangère. Une idée de Travesias. Rencontre avec Chantal Bideau, directrice de cette association rennaise.

Unidivers : Quelles sont les missions de Travesias ?

TravesiasChantal Bideau : Cette association a pour but d’établir, à partir de la Bretagne, un réseau d’accueil international de création et d’échanges pour les artistes, les théoriciens et les écrivains. Elle souhaite favoriser une participation active des publics potentiels par des interventions dans des espaces ouverts au plus grand nombre. Avec comme ligne directrice le passage du local au global, l’association a développé des actions poético-politiques dans la région rennaise, dans des jardins familiaux, dans une maison de retraite, dans une prison pour femmes, auprès de migrants…
Travesías mène aussi une activité d’édition qui croise ces diverses problématiques mêlant questionnements sociaux et poésie.

 : Comment est venue l’idée du Geste exilé ?

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Chantal Bideau : Travesías travaille depuis 2010 sur les récits de grand-mères immigrées de Bretagne, tissant petit à petit un réseau entre elles. S’étant exilées pour suivre leur mari, ou par choix personnel, ou encore par obligation politique, dans les années 1960-1980, elles sont aujourd’hui grand-mères, souvent coupées de leurs racines. Leurs enfants ont été élevés dans une autre culture. Que peuvent-elles transmettre à leurs petits-enfants comme souvenirs de leur propre enfance ? Nous avons souhaité questionner la transmission intergénérationnelle chez ces femmes. Convaincues qu’un artiste serait à même de faire surgir ces souvenirs, Fatima Rojas et moi-même avons consulté Eternal Network (médiateur agréé de la Fondation de France pour l’action Nouveaux commanditaires) que je connaissais pour avoir suivi le travail de Tadashi Kawamata à Saint Thélo en 2006. Éric Foucault nous a répondu très vite. Il a proposé de travailler avec la chorégraphe Pascale Houbin qui, depuis une vingtaine d’années, a mis la langue des signes au cœur de sa démarche. Cela nous correspondait bien, car la question posée par Travesías va bien au-delà de la parole.
Voilà comment cette aventure a commencé.

: Comment Pascale Houbin a-t-elle procédé ?

rennes Travesias Le geste exilé Pascale Houbin Chantal BideauChantal Bideau : Ce qui s’est dégagé de ses premières rencontres avec les grand-mères à Rennes, c’est l’évidence d’aller chercher la transmission familiale dans les gestes que nous faisons habituellement autour du repas, du portage de l’enfant, de la toilette, de la lessive… Ensemble, elles ont convenu que ce sont dans les actions quotidiennes et domestiques que se réalise involontairement la transmission des habitudes, des attitudes, des manières de faire, de génération en génération. Avec les modules gestuels collectés pendant ses rencontres avec ces femmes, leurs enfants et leurs petits enfants, elle a élaboré des mises en scène qu’elle a choisies, assemblées et organisées en séquences chorégraphiées.

: La première présentation de ce film s’est déroulée au musée des beaux-arts de Rennes.

Chantal Bideau : Oui, j’en remercie Anne Dary qui nous a ouvert l’auditorium. Nous pensions que cela avait du sens de présenter Le geste exilé, dans un lieu dédié à l’art, un lieu chargé d’histoire. La projection a été suivie d’un échange avec Philippe Blanchet, enseignant en sociolinguistique à Rennes 2 et la sociologue Pholeth Wadbled.

: En introduction, vous avez cité l’anthropologue Monder Kilani dans son livre Du local au global : « on n’est Autre(s) que dans le regard de quelqu’un ».

Chantal Bideau : La question de l’altérité est au cœur de nos projets. J’ai aussi évoqué un auteur du XIIe siècle, Hugues de Saint Vincent, qui disait « l’homme qui trouve sa patrie douce n’est qu’un tendre débutant. Celui pour qui chaque sol est comme le sien propre est déjà fort. Mais celui-là seul est parfait pour qui le monde entier est comme un pays étranger ».

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: Ni débutantes, ni parfaites, les trois grands-mères sont des femmes fortes. Comment les avez-vous choisies ?

Chantal Bideau : Quand cette idée sur la transmission m’est venue, je pensais d’abord à un objet, une poupée. J’en ai parlé d’abord à Marie Léonie Kingansi, originaire du Congo RDC. Elle m‘a dit: « mais Chantal, pour moi ma première poupée c’était la petite sœur que j’ai eue dans les bras ! ». Nous avons organisé d’autres rencontres avec des grand-mères qui fréquentaient l’UAIR (Union des associations interculturelles de Rennes). Nous avancions toujours dans cette idée de transmission intergénérationnelle dans un contexte interculturel, mais comment le réaliser et avec quels moyens ?
La proposition de travailler sur les gestes est venue de Pascale Houbin. Après Marie-Léonie qui exécute (à blanc) le geste du lavage de linge (tordre et essorer revêt un sens particulier dans ce pays où les femmes violées sont légions !), nous avons introduit Theda Mara, Brésilienne qui prépare le manioc comme si elle dansait. Et enfin Maya Mémin qui « lave le riz comme elle mélange les encres ».
À la fois imitations et initiations, des gestes de dons, d’accompagnement, de partage. Des creusets d’humanité.

 Le Geste exilé un film de Pascale Houbin, mai 2015

réalisé pour Travesías, dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires, avec le concours de la Fondation de France, de la fondation Daniel et Nina Carasso et la Ville de Rennes. Médiation-production : Eternal Network.

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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