Rennes. Mehdi Zaïba fait résonner Boris Vian dans l’ancienne prison Jacques Cartier

Mehdi Zaïba sortait « Ils cassent le monde » le 10 mars 2023. Et pour ce morceau reprenant un texte de Boris Vian qui évoque la peine de mort, le musicien et chanteur rennais et son complice Thomas Frogner aux machines réalisent une live session dans l’ancienne prison Jacques Cartier de Rennes. Une vidéo tout en sobriété, une interprétation pleine d’émotion et un texte qui résonne aujourd’hui d’une inquiétante familiarité.

Interpréter un poème français sur une instrumentation électronique, voilà qui n’aurait sans doute pas déplu à Boris Vian, lui qui s’est amusé à chanter en français sur le jazz ou le rock’n’roll naissant. C’est ce qu’a entrepris le musicien rennais Mehdi Zaïba dans un morceau paru le 10 mars 2023, accompagné quelques jours plus tard d’une vidéo live session tournée dans l’ancienne prison Jacques Cartier.

Mehdi Zaïba est un auteur-compositeur de chanson qui a commencé sa carrière musicale il y a une vingtaine d’années. D’abord au sein d’une formation rock alternatif, avant de suivre son penchant pour la chanson. Il entame son projet solo en 2010, sort un EP accompagné de plusieurs musiciens en 2012, puis travaille avec le beatboxer rennais Saro. Si l’idée mûrissait en lui depuis un moment, c’est grâce à cette collaboration de plusieurs années, qui culmine avec un EP en 2018, que se fait la bascule vers un univers sonore électronique.

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Mehdi Zaïba © Lola Delaunay

Bercé dans sa jeunesse à l’île de la Réunion par les percussions du maloya, il retrouve une même dimension chamanique qui l’attire dans la trance. Il puise aussi dans le hip hop ou chez des artistes pop rock comme Radiohead, Björk, David Bowie ou Bérurier Noir la recette d’un mélange entre machines, instruments et voix. Une formation au logiciel de MAO Ableton live en poche, Mehdi Zaïba commence à élaborer une identité sonore qui s’empare de la puissance introspective et dansante des musiques électroniques, tout en restant éclairée par la voix et par des textes qui laissent place à l’imaginaire, à la façon d’artistes actuels qui l’inspirent comme Bertrand Belin ou Louis-Jean Cornier.

Alors que Mehdi Zaïba travaille à ce nouveau son, en 2020, son chemin croise à nouveau celui de Thomas Frogner, musicien avec qui il avait collaboré en 2008 pour l’enregistrement d’un album. « À l’époque, j’avais préparé un set live en solo. Mais gérer toutes les machines en même temps que le chant et la guitare était gênant pour la présence sur scène et l’interaction avec le public. Thomas s’occupe donc des machines et je reste dans le rôle du chanteur », explique-t-il. Le nouveau duo commence alors à composer des morceaux ensemble, dont plusieurs sont déjà sortis.

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Thomas Frogner © Lola Delaunay

Un de ces morceaux, le dernier paru, répondait au défi lancé par le prix Andrée Chédid 2020 de mettre en musique le poème « Ils cassent le monde » de Boris Vian. « L’exercice ne m’intéressait pas plus que ça, sauf après avoir lu le texte qui m’a vraiment parlé », confie Mehdi Zaïba. Et pour cause, « le gimmick “ils cassent le monde” résonne énormément en ce moment ». 

Ce texte écrit dans les années 1950 évoque la résilience d’un individu qui se console de la destruction du monde dans l’amour des choses simples de la nature, jusqu’à se consoler de sa propre condamnation à mort. « L’intention première du texte », selon Mehdi Zaïba, « c’est celle d’un condamné à mort qui va se faire guillotiner, qui dit qu’on peut tout lui enlever mais pas la force d’aimer ». La force des mots de Boris Vian, abolitionniste renommé, réside en ce qu’ils laissent la possibilité de se les approprier. Si la peine de mort n’est plus vraiment un débat en France aujourd’hui (pourtant, 53 pays la pratiquent encore), le sens du texte peut glisser vers une autre forme de condamnation à mort, par exemple le péril écologique et l’inaction des décideurs qui continuent de casser le monde, « ceux qui ne sont plus dans l’économie réelle, qui font joujou dangereusement avec l’argent ». Des décideurs mais aussi peut-être la nôtre, car « on est tiraillés par la culpabilité de notre manière de vivre à l’occidentale, on se dit qu’on est responsables, qu’on mène le monde à sa perte », réfléchit le musicien.

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© Lola Delaunay

Le 15 mars 2023, cinq jours après la parution du morceau sortait une vidéo live session, tournée à l’ancienne prison Jacques Cartier de Rennes. « Au début, ça m’a fait flipper », avoue Mehdi Zaïba. Un lieu fort et symbolique, puisque dans ce même établissement pénitentiaire avait été exécuté, en 1939, Maurice Pilorge, dernier condamné à mort à Rennes. « Jouer la comédie dans un endroit comme ça n’est pas simple. C’est quand même se mettre en scène dans un lieu où on sent la souffrance, la solitude, la lourdeur. Et toi tu rentres, tu fais ton guignol avec ta gratte et tu chantes. Tu demandes si la prise est bonne et tu sors. C’est pour ça qu’il fallait rester humble et sincère », explique le chanteur.

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© Lola Delaunay

Et en effet, c’est une live session pleine de sobriété que réalise Thomas Bizeul (Loft Production). La mise en scène minimaliste se contente de quelques éclairages. Une courte introduction montre Mehdi Zaïba jouant quelques notes à la guitare dans une cellule, avant de rejoindre Thomas Frogner et ses machines dans l’allée centrale de la prison. Les prises de vue se concentrent ensuite sur la performance des deux musiciens. Seuls quelques plans en légère contre-plongée laissent apercevoir les étages supérieurs et les rares puits de lumière, dernières lueurs de liberté pour nombre de condamnés. Les paroles de Boris Vian résonnent alors comme une complainte des souffrances passées et présentes, et comme une ode aux quelques brins de vie auxquels on cherche à s’accrocher.

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© Lola Delaunay

Mehdi Zaïba n’a pas dit son dernier mot avec « Ils cassent le monde ». Le musicien prépare avec son complice Thomas Frogner la sortie d’un EP pour la fin d’année 2023. Il sera accompagné de formats vidéo, clip et live sessions, qu’on espère aussi réussis que celui-ci.

Écouter et suivre Mehdi Zaïba

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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