Avec À la fin de l’été, publié aux éditions Bleu et Jaune, Magdalena Blazević offre un écrin poétique à un plaidoyer anti guerre. Le premier roman de la Bosnienne est dédicacé aux habitants du village de Kiseljak, massacrés en août 1993 lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Cet incipit est le seul repère temporel de ce conte cruel qui se veut universel.
Dans un petit village bosniaque, Ivana vit un été heureux avec sa copine Dunja. Elle est encore aux temps de l’innocence, celui où on joue à la poupée, où l’on court vers la rivière en lisière de la forêt. Mais le drame imminent laisse planer une ombre grise sur l’insouciance de l’enfance.
« Je m’appelle Ivana. J’ai vécu quatorze étés, et ceci est l’histoire du dernier. »
Avec beaucoup de sensibilité, Magdalena Blazević décrit le quotidien, la vie campagnarde d’une adolescente, inconsciente de la brutalité qui se joue autour d’elle. A hauteur d’enfant, la guerre reste en arrière-plan, impalpable, anonyme. Un flou volontaire qui oblige aussi à penser que ce drame est universel et peut toucher n’importe quelle famille dans un monde en guerre.
Alors nous suivons Ivana quand elle va à la source d’eau gazeuse, qu’elle ramasse les fruits et participe à la fabrication des conserves de tomates. Après l’école, Ivana et Dunja aimaient aller ramasser les grenouilles dans la noue gorgée d’eau. Dans l’air traîne le parfum de camomille, les voilages sèchent sur un fil dans le jardin. Auprès de ses parents, son frère, son grand-père à la patte d’ours, de quoi pourrait-elle avoir peur ? D’un bonbon coincé dans la gorge ou d’un voisin casanier ?
Pourtant, il faut parfois courir vers le cellier où vivent les grands-parents pour se protéger des attaques. Ivana se souvient aussi de ce moment où la famille dût quitter le village pour se réfugier sur l’autre rive de la Bosnia. Mais si la guerre se voit sur le corps des femmes ou sur les façades en ruine des maisons, il règne toujours la beauté de la faune et de la flore. « C’est un trou de verdure où chante une rivière », disait Rimbaud.
C’est effectivement la prouesse de l’auteur que d’évoquer la poésie de la nature tout en y suggérant la pourriture et le grondement de la guerre.
« Derrière nous, le long de la haie d’épicéas bleus, reste une trace rouge. Les roues de vélo démantibulé, tournent au ralenti entre les bouteilles éclatées. Les bulles trouvent un chemin dans la poussière et s’infiltrent dans la terre. Je regarde le ciel. En pleine clarté, un vol de pies s’élève et s’abaisse, chorégraphie noire.
L’air tonne et la forêt s’assombrit. »
Par son récit, Ivana convoque souvenirs, sensations, odeurs et images, un environnement sensoriel qui fait le bonheur de l’enfance. Comme si elle pressentait le besoin de ces belles choses au moment où la mort viendrait glacer son corps.
« « Pensez à quelque chose de beau », chuchote maman. »
L’auteur tisse ainsi les souvenirs heureux pour en retrouver les éclats de douceur au moment fatidique. Comme si la mort ne pouvait pas tuer la beauté de l’enfance.
« Un ange blanc avec une fleur sur la poitrine »
Ainsi, l’écriture poétique de Magdalena Blazević est comme cette fleur offerte aux soldats. Rien n’est plus désarmant que d’opposer la beauté de la nature à la noirceur de la guerre.
Les éditions Bleu et Jaune ont lancé une collection Fiction Europe qui met à l’honneur la diversité de la littérature européenne contemporaine. Entre l’ombre du bleu et la lumière du jaune, cette collection propose des œuvres primées de pays européens du nord ou de l’est. Cette maison d’édition engagée dans une démarche eco responsable met aussi un point d’honneur à valoriser le travail des traducteurs.
Magdalena Blazević est née en 1982 en Bosnie-Herzégovine. Elle a débuté sa carrière avec des nouvelles, qui ont été traduites en plusieurs langues. Son premier roman, A la fin de l’été, a reçu le Prix littéraire TPORTAL du meilleur roman croate de l’année 2023. Aujourd’hui, Magdalena Blazević est considérée comme l’une des voix les plus marquantes de la littérature des Balkans.
Chloé Billon est traductrice littéraire et interprète de conférences. Après des études de littératures anglaise et allemande, elle entame un cursus de bosnien-croate-serbe à l’inaccoutumé, qu’elle conclut par un master de traduction littéraire de l’Inalco. Elle a reçu le prix de la traduction Inalco-VO/VF 2020 et le Grand Prix de la traduction de la ville d’Arles en 2023.
La prochaine parution des éditions Bleu et Jaune est le nouveau livre de l’Ukrainien Artem Chapeye, The Ukraine. L’auteur sera à Paris du 24 au 28 février 2025.
A la fin de l’été de Magdalena Blazevi, éditions Bleu et Jaune, traduit par Chloé Billon, 176 pages, Prix : 19,90 euros, ISBN 979-10-94936-40-5. Parution : l23 janvier 2025