Rentrée littéraire. Dans son premier roman, Iida Turpeinen part À la recherche du vivant

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Récit ou roman qu’importe, À la recherche du vivant de Iida Turpeinen, publié aux éditions Autrement, nous fait voyager sur terre, sur mer et dans l’histoire pour mieux nous parler du présent. De cette histoire, autant vous le dire, les humains ne sortent pas toujours grandis. Car un mot apparaît, un mot qui introduit la peur ou le doute. L’extinction.

Tout commence au milieu du 18ème. Le temps encore des aventuriers sans doute mais aussi, et ce sont eux qui nous intéressent ici, des explorateurs et des naturalistes. À la recherche de nouveaux continents, de nouvelles routes maritimes. Le temps où partir à la découverte du monde valait toutes les conquêtes. Il commence avec un homme Georg Wilhelm Steller (1709-1746) en mission pour la science au service de l’impératrice de Russie. Entre la Sibérie et l’Alaska, sur une mer qui ne porte pas encore le nom de Béring. Steller, un chercheur dont la découverte majeure sera une créature dont certains douteront de l’existence : la rhytine. Cette rhytine va traverser le temps de ce livre et le temps tout court. Nous croiserons ainsi nombre de scientifiques, leurs familles, la dureté de la vie mais aussi leur émerveillement devant la beauté des êtres et des plantes, en un mot devant le vivant. N’oublions pas qu’il suffit pour un naturaliste d’un nom donné à l’inconnu pour atteindre la gloire.

Pour autant, il faut trouver eau et nourriture en s’arrêtant dans les îles. Loutres, morses et phoques font l’affaire mais ils se méfient très vite de ces nouveaux prédateurs et sont de plus en plus difficiles à chasser. Et un jour, le bateau aborde sur une des îles aléoutiennes où vivent d’immenses créatures. Un animal pacifique, ne se méfiant de rien, les observant la tête hors de l’eau, en position verticale, un animal se nourrissant d’herbes marines. Ce sera la rhytine de Steller, communément appelée vache de mer. Sa taille fait fuir tous les prédateurs. L’observation patiente, curieuse va alors laisser la place à leur chasse. Au harpon. Une chair délicieuse que chacun se dispute tant les marins ont faim. Sur la quarantaine d’animaux tués, seuls un cinquième sera consommé. Steller lui-même doit s’en procurer une et l’écorcher afin de la ramener à l’Académie. Au cours des années suivantes, ce ne sont plus les explorateurs qui débarquent sur cette île maintenant de Béring mais des trappeurs et des marchands. 200 vaches de mer tuées dans un premier temps puis 500 un peu après. L’équilibre naturel change, les rhytines ne trouvent plus leurs algues nourricières. Elles dépérissent et disparaissent. L’extinction. De la main de l’homme et de sa folie. Les ossements se vendent alors très cher puis les rivages en sont vidés à leur tour. Il en restera un squelette.

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Ceci n’est qu’une des histoires racontées par Iida Turpeinen. Suivra dans la deuxième partie, l’expédition demandée par Alexander von Nordmann (finlandais suédophone, sujet de l’empire russe, 1803-1866) sur la côte sud-est de l’Alaska (57° 03’ 11ʺ N, 135° 19’ 51ʺ O), professeur de zoologie de l’université impériale Alexandre. L’Alaska, riche d’abord de ses fourrures, mais en voie d’épuisement, puis de l’ivoire des morses qui se tarit lui aussi. La reprise en main est placée sous l’autorité d’un jeune gouverneur nommé Hampus Furuhjelm, accompagné de son épouse et bientôt de la sœur d’Hampus, Constance. Il a pour mission de trouver à cette terre un autre avenir. Des mines d’or ? Non. Alors des collections d’animaux se poursuivent. Constance se passionne pour les oiseaux et, malgré leurs différends, travaille avec un conservateur récemment embauché par Hampus, un certain Wolff. Malgré tout, rien ne sortant là de l’ordinaire. Quand un squelette de Rhytine est découvert. 47 vertèbres, 19 paires de côtes, le sternum et les omoplates, voilà au moins quelque chose susceptible d’impressionner Saint-Pétersbourg. Ce sera cependant insuffisant pour convaincre l’empereur et l’offre des États-Unis d’acheter l’Alaska et les îles Aléoutiennes l’emporte. Alexandre II en signe la vente en 1967 pour 7,2 millions de dollars.

Nous retrouvons le même von Nordmann dans la dernière partie consacrée à la collection du professeur Bonsdorff au département d’anatomie de l’université impériale Alexandre (60° 10’ 31ʺ N, 24° 57’ 13ʺ E). von Nordmann est considéré comme le plus doué des peintres de nature, capable de restituer non seulement le caractère vivant des animaux qu’il dessine, avec un remarquable soin des moindres détails, voilà malheureusement sa vue baisser. Hilda Olson, une exception féminine dans le milieu universitaire de l’époque, sera ses yeux et sa main. En possession d’un microscope achromatique universel, tout un monde est à revoir et à dessiner. Hilda répond à ses attentes y compris dans leurs expéditions lointaines. La collection de plantes offerte par Christian von Steven en sera la démonstration. C’est avec eux, dans le département d’Evert Bonsdorff (médecin et anatomiste, 1810-1898) que nous retrouvons une dernière fois notre vache de mer. Avec l’ambition d’assembler son squelette et de lui redonner vie.

Ce livre étonnant nous fait revisiter et redécouvrir une part du monde vivant. Et les interprétations parfois spéculatives, pourtant toujours rigoureuses relativement aux connaissances et aux instruments d’observation disponibles dans ces temps anciens, des temps sujets eux aussi aux légendes et aux croyances. Nous croisons des grands noms comme Cuvier, Lamarck, Linné et d’autres. L’ouvrage ne manque pas non plus de nous plonger dans la vie des hommes et des femmes de la société de l’époque. Et curiosité du hasard, en cherchant des informations sur ceux et celles qui traversent ce volume, je suis tombé par hasard sur un article du Midi Libre intitulé : « Nous redonnerons l’Alaska à la Russie” : Vladimir Poutine serait-il tenté de reprendre cet État aux États-Unis ? »

Un livre qui nous apprend combien tout est fragile dans la faune, la flore et l’humain. Où les pays, les frontières, les existences ne tiennent parfois qu’à un fil. Un livre passionnant car il nous apprend à mieux nous connaître et à nous reconnaître dans cette diversité du monde.

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Iida Turpeinen, À la recherche du vivant, éditions Autrement, 292 pages, 22,50 €. Parution : 21 août 2024

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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