La Bretagne, bout du Monde, terre de Légendes, est une région de forte dévotion avec de nombreux lieux de cultes et des pardons ou pèlerinages dédiés à des Saints certains très connus, et d’autres dont parfois on ne retrouve pas l’origine…
Certains de ces pardons sont très célèbres et attirent encore et souvent des foules venues de fort loin. On citera la Petite et la Grande Troménie à Locronan, Le Pardon de Saint Anne d’Auray, celui de Saint-Yves à Tréguier ou encore Le Pèlerinage des Sept Saints qui rassemble chrétiens et musulmans au Vieux Marché. La plupart de ces fêtes religieuses témoignent d’une vie spirituelle forte et sont apparues avec la christianisation de la péninsule.
Le fait que certains de ces lieux de culte soient liés à des sources dotées de vertus thérapeutiques et dont on sait l’importance dans les croyances celtiques et sans doute antérieures, laisse à penser qu’il y a bien eu de la part du clergé catholique une réutilisation de « substitution » de ces divers sites auxquels la population rurale attachait de fortes croyances miraculeuses. D’autres parcours, comme celui de la Grande Troménie sont beaucoup plus anciens que ne le laisse supposer la Légende de Saint Ronan visitant chaque jour les monastères (Tro-minihy) sous sa juridiction et remontent vraisemblablement au moins à l’époque celtique, voire au néolithique. Certains de ces sites sont bien sûr source (au propre comme au figuré) de miracles ou d’actions thérapeutiques souvent spécialisées pour telle ou telle affection : migraines, surdités, épilepsie, stérilité etc,etc.
Parmi ces divers lieux, le sanctuaire de Notre Dame du Roncier près de Josselin, lié à la découverte d’une statue miraculeuse de la Vierge vers l’an 800 dans une zone couverte de ronces, est le lieu d’une de ces processions ou la Vierge est portée par des hommes, précédée de bannières des saints locaux, vers la Basilique dédiée. Ce pardon est aussi connu pour être le pardon des aboyeuses de Josselin. Chaque année des femmes y manifestaient aboiements et agitations, voire des convulsions lors de la procession. Un témoignage ancien le rapporte.
« Il y a quelques années, je me trouvais par hasard dans la foule à peu de distance de l’église, au moment où la procession qui se fait en l’honneur de Notre Dame du Roncier allait y rentrer ; tout à coup, un mouvement se fait autour de moi : “Place, place aux aboyeuses !” s’écriait-on ; et des hommes entraînaient, portaient avec peine plusieurs femmes, pâles, défaites, la bouche écumante, les yeux à demi-fermés, se débattant comme des démoniaques, et poussant des cris rauques, assez semblables aux aboiements d’un chien. Le peuple se rangeait sur leur passage avec un sentiment de terreur, et pourtant chacun voulait voir ces malheureuses coller leurs lèvres toutes frémissantes aux pieds de la statue de Marie qui seule a le pouvoir de les calmer. Des personnes dignes de foi attestent l’existence à Josselin et dans les environs de plusieurs familles d’aboyeuses atteintes de convulsions héréditaires auxquelles la science n’entend rien et qui reparaissent chaque année vers la fête de la Pentecôte pour ne cesser qu’après que les malades ont baisé la statue de Notre Dame du Roncier. »
Le phénomène qui concourrait sûrement à la réputation flatteuse du Pardon, et qui ne déplaisait pas forcément à l’Eglise de par son caractère « miraculeux », s’estompa au XIXe siècle alors que se développait une ethnologie visant à la fois à collecter un matériel historique et à jeter un œil empreint de modernité et de positivisme sur des pratiques qualifiées alors d’obscurantistes.
La légende qui expliquait ces manifestations relatait que des habitantes de l’endroit se seraient moqué en aboyant d’une vieille femme qui passait dans la commune, laquelle se serait révélée être la Vierge, elles auraient subi en retour sa malédiction. Ces manifestations se raréfièrent progressivement, la dernière “possédée” aurait été délivrée de son mal le 8 septembre 1953.
Au-delà du fait qui s’inscrit dans un cadre religieux et relève peu ou prou d’un certain état de transe collective qui peut être déclenchée par des éléments suggestifs coutumiers, voire familiaux, la ferveur religieuse, un état psychologique favorisant, le rythme propre des chants religieux, on ne peut que considérer une relative parenté avec le chamanisme ou le tarentisme des Pouilles décrits dans maints ouvrages. Les lecteurs qui s’intéressent à ces saints guérisseurs se reporteront au fort bel ouvrage d’Hippolyte Gancel, qui s’intéressa beaucoup aux cultures bretonnes et normandes.
Hippolyte Gancel (1920-2013). Docteur ès lettres, écrivain, auteur d’ouvrages pour la compréhension et la diffusion de la langue normande et sur la culture populaire normande (notamment).