L’Adec de Rennes recevait Marion Denizot le 4 mai 2023 pour une soirée de présentation de son ouvrage, L’Adec, maison du théâtre amateur, une association au service des amateurs en Bretagne. L’enseignante-chercheuse spécialisée en études théâtrales y retrace cinquante ans d’histoire d’un projet associatif unique en France. Celui-ci a su mêler idéaux de l’éducation populaire et modernisation de la pratique amateur par l’exigence artistique, le tout cimenté par l’amour du théâtre et l’engagement bénévole.
Le 4 mai 2023, un mois après la parution aux Presses Universitaires de Rennes (PUR) de L’Adec, maison du théâtre amateur, une association au service des amateurs en Bretagne, Marion Denizot venait présenter son ouvrage dans les locaux de l’association, au 45 rue Papu à Rennes. À cette occasion, l’enseignante-chercheuse passe sur scène pour un échange avec Élise Calvez, directrice de l’Adec.
Marion Denizot est professeure des universités en études théâtrales à l’université Rennes 2. Ses travaux de recherche portent sur l’histoire des politiques et des institutions théâtrales, les héritages du théâtre populaire et les liens entre histoire et théâtre. Son précédent ouvrage, rédigé avec Bénédicte Boisson, s’attaquait à un autre pan d’histoire du théâtre en France, Le Théâtre du Peuple de Bussang : cent vingt ans d’histoire (2015). C’est pourquoi, en 2017, Yvan Dromer, directeur de l’Adec à cette époque, lui commandite une étude en vue des 50 ans de l’association qui seront fêtés en 2020. « Pas simplement une synthèse de souvenirs, mais une étude scientifique sur l’histoire de l’Adec qui puisse servir aussi à penser quel sera l’avenir de l’Adec », annonce la chercheuse.
Cette étude, Histoire et généalogie de l’ADEC-Maison du théâtre amateur (1964-2019) est effectivement livrée en 2020. Elle fournit le matériau principal du nouvel ouvrage de Marion Denizot qui, s’il est publié aux Presses Universitaires de Rennes, se veut accessible au grand public. « Au-delà du cercle restreint des adhérents de l’Adec », il « rend compte de la dynamique du secteur associatif et du théâtre amateur à Rennes et en Bretagne ». L’historienne du théâtre participe ainsi à un mouvement initié dans les années 2000 et inspiré de l’histoire culturelle, qui remet en question la notion vieillotte de hiérarchie artistique dans l’étude des objets culturels. « L’histoire qu’on enseigne aux étudiants en études théâtrales est essentiellement l’histoire du théâtre professionnel. Depuis plusieurs années, certains chercheurs reprennent l’historiographie du théâtre pour y inclure l’histoire du théâtre amateur », explique-t-elle. « Cet ouvrage s’inscrit dans ce double mouvement en faveur d’une meilleure connaissance du théâtre amateur et de la vie théâtrale en province », peut-on lire dans l’introduction générale.
En l’espace de 200 pages, l’autrice retrace l’histoire de l’Adec en cinq chapitres chronologiques et thématiques, depuis les prémices de l’association en 1964, avant sa fondation effective en 1970, et jusqu’à la prise de poste d’Élise Calvez en tant que directrice en 2019. Elle en détaille la genèse, dans « une philosophie proche de l’éducation populaire », la naissance et le développement, les temps de crise, de structuration et finalement de reconnaissance politique et institutionnelle de son projet culturel.
Ce récit s’appuie sur une campagne d’archives orales auprès de bénévoles historiques, de personnes salariées de l’association ou d’autres acteurs. La deuxième partie du livre donne à lire des extraits de ces témoignages. On y trouve notamment d’anciens directeurs et directrices (Jean Beaucé, Suzanne Héleine, Yvan Dromer), présidents et présidentes (Christine Michenaud, Serge Saint-Eve) ou encore Martial Gabillard, adjoint à la Culture du maire de Rennes Edmond Hervé pendant 31 ans. « Ces extraits de témoignages rendent compte de la mobilisation de militants en faveur du théâtre amateur considéré tout à la fois comme pratique artistique et pratique sociale » (Introduction générale).
Mettant à contribution de jeunes chercheuses en études théâtrales (Alice Broin et Mathilde Dumontet), une troisième partie aborde les relations que l’Adec a tissées avec le théâtre professionnel, les avant-gardes artistiques et le théâtre universitaire. Enfin, un cahier iconographique réalisé par Pierre Daraize, doctorant en études théâtrales, illustre en une quarantaine de photos ou d’affiches cette longue histoire associative et artistique. Invité sur scène pendant la présentation de l’ouvrage à l’Adec, l’intéressé souligne que ces images permettent de voir l’évolution de l’Adec — notamment la diversification de ses activités à partir des années 1990 — et des esthétiques des troupes à travers leurs différents projets.
En effet, une des particularités de l’Adec, « seule structure en France avec cette mission et cette histoire » selon Marion Denizot, est d’avoir confronté dès ses débuts la pratique amateur du théâtre, encore très liée au théâtre de patronage religieux ou laïc, aux innovations esthétiques du théâtre de son temps et aux collaborations avec des artistes professionnels. L’exigence artistique rencontre alors l’idéal d’éducation populaire, qui se prolonge aujourd’hui dans la reconnaissance des droits culturels. Car la pratique artistique amateur est un chemin privilégié vers la culture, comme l’affirme Élise Calvez.
« Le chaînon, que beaucoup trouvent manquant, entre l’éducation artistique et l’accès aux œuvres et à la culture, c’est justement la pratique amateur »
Élise Calvez (Témoignages et entretiens)
Faisant le bilan de son travail de recherche, Marion Denizot s’avoue admirative de la longévité et surtout de la pérennité des valeurs de l’Adec. Ses acteurs et actrices ont su « dépasser des conflits parfois idéologiques et pas uniquement personnels (sur la manière de concevoir le théâtre, sur sa place dans la société) au nom de l’importance du projet associatif et collectif ». Ce même projet associatif est précisément ce qui, avec le temps, impose l’Adec dans le paysage culturel et l’intègre aux politiques publiques. « En se positionnant comme acteur territorial, mais aussi comme centre de ressources pour l’ensemble des praticiens, en revendiquant un accès élargi de tous à la pratique théâtrale et, plus largement, au théâtre, l’ADEC-MTA défend une mission de service public, qui s’exerce désormais dans un cadre formalisé d’actions et d’évaluations, proche de celui attendu pour toute institution publique » (Conclusion Première partie).
Il se dégage de ce récit une valorisation de la figure de l’amateur, non plus vu comme artiste de pacotille, mais comme passionné. « L’histoire de l’Adec témoigne de la réalité du sens étymologique du terme d’amateur : aimer » (Conclusion Première partie). Et Élise Calvez tient un discours similaire dans l’ouvrage : « Je n’en reviens toujours pas de me dire qu’il y a des hommes et des femmes qui font leur semaine de travail, et qui, dans n’importe quelle commune d’Ille-et-Vilaine et d’ailleurs, vont se retrouver, vont répéter, vont chercher ensemble comment créer du sens, du théâtre, du collectif, une forme qu’ils ont envie de présenter au public, avec toujours l’idée de faire au mieux » (Témoignages et entretiens).
Marion Denizot abonde dans ce sens, articulant la figure de l’amateur à l’engagement du bénévole. Sur scène, face aux adhérents et adhérentes de l’Adec, elle ajoute : « Humainement, je suis fascinée du temps que vous, bénévoles, accordez à ce projet, qui vous porte et auquel vous êtes attachés, de cette forme de générosité qui est la vôtre ». Anne-Cécile Voisin, directrice de l’Adec 56, intervient pour partager ses impressions sur l’ouvrage. « Ça m’a redonné énormément de mobilisation politique de lire comment les années de la fondation ont rassemblé des personnes qui avaient un engagement dans la cité. C’est quelque chose qu’il faut transmettre aux générations futures. » La commande initiale à Marion Denizot avait pour optique d’offrir à l’association des outils pour penser son futur. « On ne pouvait être au clair sur ces enjeux qu’en étant au clair sur l’histoire de cette maison », affirme Élise Calvez. « La condition de survie d’une structure, c’est de travailler la transmission, la continuité. Si on ne fait pas vivre le flambeau associatif, qu’on ne prend pas garde, on peut disparaître », conclut la directrice.
Après la présentation du livre de Marion Denizot, un buffet est servi sur scène. Alors que les discussions vont bon train, les lumières s’éteignent et quatre personnages hauts en couleur font leur apparition, éclairés par des projecteurs. En costume et à la façon de crieurs publics, ils lisent les petits mots récoltés pendant la séance. Adhérents et adhérentes y ont écrit leurs vœux pour l’Adec du futur, des plus concrets aux plus fantaisistes : un parking à vélo, une scène en extérieur, des représentations sur Mars, plus de fonds, plus d’espace, mais toujours le même esprit, la même passion.
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