Avec Carmen dans quelques semaines, les toréadors sont donc à l’honneur cette année à l’opéra de Rennes. Celui d’Adolphe Adam, indiscutablement plus confidentiel, a pourtant été une agréable découverte, d’abord parce que c’est une œuvre pleine de charme et qu’elle a été l’occasion de découvrir de jeunes artistes au talent assez prometteur.
Cet opéra comique en deux actes sur un livret de Thomas-Marie-François Sauvage fut donné pour la première fois le 18 mai 1845. L’argument comme l’écriture le situent dans un domaine entre opéra bouffe et opérette. Il appartiendra à chacun de trouver l’appellation qui lui convient, mais ce qui ressort principalement c’est la légèreté, l’absence de vulgarité, malgré un livret laissant une large place aux intrigues matrimoniales. Don Belflor, est un peu trop âgé pour sa jeune épouse, ce qui ne l’empêche pas de mettre inlassablement à l’épreuve sa séduction. Coraline, sa femme, de son côté n’est pas insensible au charme d’un jeune flûtiste, Tracolin. Tout ce joli monde intrigue dans une ambiance de Vaudeville, mais sans forcer le trait, préservant une certaine subtilité.
Le Toréador est aussi une excellente excuse pour se livrer à un exercice intelligent qui consiste à opérer un mix entre artistes confirmés et élèves du pôle d’enseignement supérieur, spectacle vivant, autrement dit Le Pont supérieur. D’un côté quatre instrumentistes, de l’autre deux jeunes chanteuses ont donc l’occasion de se mettre en valeur et ils ne s’en sont pas privés.Impossible de vraiment juger la performance personnelle des musiciens, puisqu’ils sont noyés dans un ensemble, toutefois Lucas Robin au violon et Eszter Borka au violoncelle délivrent un travail exempt de tout reproche. Constant le Barh se montre très appliqué et fait honneur au pupitre des bois avec un bon travail à la clarinette, le pompon revient à Camille Chaumont, à la flûte, mise en valeur par une partition qui lui laisse une belle occasion de briller.
Le rôle de Tracolin sera tenu par Marc Larcher avec le brio qui convient à son personnage. Malgré les limites imposées par une version de concert, il sait donner vie à un jeune amant plutôt sympathique. Expérimenté dans le domaine de l’opérette il insuffle à l’œuvre un dynamisme et une énergie qui la rendent encore plus agréable. Cette remarque vaut pour le baryton basse Vincent Billier, qui de sa voix imposante plante avec talent et pas mal d’humour le pauvre barbon potentiellement cocufié, le fameux Don Belflor.
Reste donc le rôle de Coraline, qui pour l’occasion sera partagé entre Marie Lombard et Héloïse Guinard, toutes deux étudiantes au Pont supérieur. Ce partage rend lui-même les choses plus intéressantes. Si ces jeunes filles interprètent le même personnage, leur approche est assez différente. Pas question d’établir des comparaisons, aussi stériles qu’inutiles, la personnalité n’est pas à mettre en question. Marie Lombard sait avec adresse mettre ses atouts à son service. Ses jolis traits asiatiques, son sourire plein de charme apportent un petit plus à une voix en forme d’instrument bien dominé. Il y a chez cette jeune fille les marques d’une certaine rigueur et ses aigus comme ses pianissimi sont irréprochables, un vrai beau potentiel. Tout petit bémol sans grande importance, on a quelques difficultés à bien comprendre le passage parlé du tout début, au débit un peu rapide.
De son côté Héloïse Guinard, servie par une voix agréable, joue habilement avec le public en alternant fragilité et détermination. Si elle se montre parfois un tout petit peu timide, elle est pourtant bien présente lorsqu’il convient de donner de la voix au plein sens du terme. Elle incarne même le personnage de Coraline avec une féminité qui nous embarque tous comme de beaux naïfs. Stéphanie d’Oustrac lui prodigue ses conseils, elle retiendra notre attention.
Il est presque regrettable que l’œuvre d’Adolphe Adam ne soit composée que deux actes, car sous le charme de ces talentueuses jeunes chanteuses et de leurs instrumentistes, nous nous serions bien laissé aller à quelques instants de plaisir supplémentaire. Il faut retenir de tout cela le bien-fondé d’un tel exercice, et ce mélange de jeunes musiciens avec d’autres plus expérimentés est un pur exemple d’intégration réussie. Si l’on met à part la Carmen du mois de mai, c’est un dernier petit coup d’œil d’Alain Surrans, presque sur le départ vers l’opéra de Nantes et qui aura marqué celui de Rennes, par l’audace de ses réalisations et la pertinence de ses idées. Heureusement il ne sera jamais bien loin.
Le Toréador, un opéra-comique de Adolphe Adam, a été donné les 6 et 7 avril 2017 à l’Opéra de Rennes
Direction musicale: Jean-Luc Tingaud
Ensemble instrumental du Pont Supérieur
Don Beflor: Vincent Billier
Coraline: Héloïse Guinard* / Marie Lombard*
Tracolin: Marc Larcher
*étudiantes du Pont Supérieur
En partenariat avec le Pont Supérieur – Pôle d’enseignement supérieur spectacle vivant – Pays de Loire Bretagne et avec le Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes