Après le soleil rennais (voir notre article), c’est la brume qui a accueilli les manifestants à Notre-Dame-des-Landes le samedi 17 novembre 2012. Toutes générations confondues, l’occupation de la Zone à Défendre (ZAD) réunissait des agriculteurs, étudiants, riverains, élus et figures politiques. Les opposants au projet du nouvel aéroport de la société Vinci, dit ayraultport en référence au premier ministre, sont venus nombreux exprimer leur désaccord.
Après une semaine d’affrontements entre forces de l’ordre et occupants des lieux, cette journée était fortement attendue. Un test pour ce bras de force qui se joue dans le bocage. Et c’est tout un bataillon de citoyens armés de pelles, de planches ou de banderoles, qui ont répondu présents au son du slogan « Vinci dégage ».
De l’aube jusqu’à l’après-midi, un flot de mécontents arrivés par voiture, stop, vélo ou bus, a envahi la commune de Notre-Dame-des-Landes (Loire Atlantique). Un cortège de plus de 6 km de long en pleine campagne – c’est du rarement vu. Nombre de véhicules garés étaient immatriculés en 44 ou 35.
La bataille du chiffre.
À chaque manifestation en France, les chiffres annoncés par la Préfecture et les organisateurs diffèrent : 13 500 versus 40 000. À titre d’estimation, nous avons noté que le cortège s’est étiré sur plus de 6 km : tandis que le peloton de tête est arrivé vers 13h dans le champ du rendez-vous, la queue des manifestants était encore en station dans le bourg.
La bataille des chiffres, c’est aussi celle du coût de ce projet jugé pharaonique par les opposants. L’enveloppe d’environ 500 millions d’euros annoncée par Vinci et la Région pourrait vite enfler étant donné que le devis ne comprend pas l’infrastructure censée relier Nantes à Notre-Dame-des-Landes.
Des rapports politico-médiatiques non-alignés
Si Eva Joly, José Bové, Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon s’étaient rendus sur place, les occupants de la ZAD et une bonne partie des militants ont clairement exprimé leur souhait qu’ils ne prennent pas la parole, n’étant pas les bienvenus en tant que personnes médiatiques.
De fait, depuis son origine, le mouvement s’est construit au fil des ans grâce à des relais citoyens et associatifs. C’est la plupart du temps le seul et sobre logo d’un avion barré qui flottait au vent dans les défilés, loin des symboles des partis institutionnels. Le mouvement a encore tenu samedi à éviter toute récupération politique, estimant que les logiques de partis, quand elles se sont emparées du débat, se sont révélées stériles. Quant aux journalistes, demande leur a été faite de se signaler par un brassard et de respecter au mieux l’anonymat des manifestants.
Des échos du Larzac ?
Dans une ambiance familiale et éclectique, les comparaisons avec Plogoff et, surtout, le Larzac sont allées bon train. Certes, il ne s’agit ni d’une centrale nucléaire ni d’un camp militaire, mais, pour les opposants, il est vital de lutter contre « l’aéroport et son monde », autrement dit un ensemble d’intérêts privés ou publics dont ils refusent la logique. À titre d’illustration de leur point de vue, des épouvantails bricolés tout au long du chemin affichaient des messages percutants, parfois humoristiques. Sur la plaine, des percussions soutenaient l’objectif : la réoccupation et la reconstruction de ce qui a été détruit. Le bocage a alors vu des dizaines de tracteurs apporter des planches dont se sont emparées de vastes chaînes humaines. « Trop de main d’oeuvre pour trop peu d’outils ! » – se sont désespéré en souriant plusieurs participants. Ils ne comprennent pas pourquoi les autorités ne renoncent pas à un projet qui s’enlise selon eux depuis 1967.
Des questions soulevées par le projet
Trois points sont mis en avant par les différents acteurs favorables à l’installation de l’aéroport : la pression démographique, la création d’emplois et le danger continu auquel fait face l’actuel aéroport dont les avions survolent Nantes. À ces arguments, les opposants en objectent de nombreux quant à l’opportunité de la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ils remarquent que l’équivalent d’un département disparaît par artificialisation des terres tous les dix ans. Qui plus est, la destruction du bocage et la sauvegarde des terres arables s’inscrivent dans une problématique globale : l’avenir de la ressource en eau, de l’agriculture et de l’alimentation à l’échelle mondiale. À Notre-Dame-des-Landes, l’équivalent de 1600 hectares est promis à devenir du bitume si le projet se réalise. Le 17 novembre, dans un petit village de Loire Atlantique, des dizaines de milliers de personnes s’y sont opposées.
Marie Lemarchand