NOW. Le Musée des Beaux–arts de Nantes invite Agnès Thurnauer à mettre en œuvre un dialogue entre ses œuvres et une sélection de tableaux issus des collections du musée. Cette installation permet de saisir « l’un des plus grands principes qui structurent son œuvre : son approche assidue de tous les genres historiques, leurs motifs, leurs formes » (Roderick Mengham).
WHEN. La question posée par l’artiste est le regard, celui du temps qui passe et celui que l’histoire de l’art génère – histoire trop longtemps écrite au masculin. Pour cela, Agnès Thurnauer utilise deux types de confrontation : celle des images et des lettres, et la transposition d’œuvres historiques. Ainsi, l’Olympia de Manet se trouve recouverte de mots déclinant une infinité de termes affectueux. Ce qui frappe le plus dans cette exposition, c’est le traitement du regard tout court dans les portraits présentés, autant dans les grandes toiles au crayon de couleur peintes par Agnès Thurnauer en 2012, et dans les portraits qu’elle a sortis des collections du musée.
Cette galerie de portraits illustre le déroulement d’un cycle de vie : au début, le portrait d’un jeune enfant (charmant Charles-Etienne de Bourgevin de Vialart, comte de Saint-Morys, enfant, par Jean-Baptiste Greuze), à la fin, l’Homme assis à la canne, peint par Pablo Picasso en 1971. On l’aura compris, l’âge du sujet représenté prime sur la date de la figure peinte. Entre enfance et vieillesse, les yeux du visiteur croisent ceux d’un Jeune homme de Jacoppo Coppi (vers 1570), d’une étrange Jeune fille de Tamara de Lempicka (1947), du sérieux Homme de Soranzo par Le Tintoret (XVI e s.), de la fragile Lady Frances Balfour par Edward Burne-Jones (1880), de l’extraordinaire Madame de Senonnes par Ingres (1814) et de l’éblouissant Prince Sturdza par Gerhard Richter (1963). Moins perçants, leur succèdent les regards de l’intellectuel flamand de Luc Tuymans et une huile un peu « münchienne » d’Eva Hesse. Lui, son regard est déjà tourné vers l’intérieur, c’est le Prisonnier ou le Captif d’Odilon Redon.
L’autoportrait de Claude Cahun (alias Lucy Schwob) ouvre une autre série où l’œil de l’énigmatique artiste de l’entre-deux-guerres (née à Nantes) se trouve au centre de grands tableaux d’ailes. ELLE, ailes… L’homophonie est récurrente dans l’œuvre d’Agnès Thurnauer qui l’avait magistralement déployée déjà dans l’exposition Elles@CentrePompidou en 2010.
Ellle démonte les codes, interroge la représentation des femmes dans le monde de l’art : de la femme peinte, objet du tableau à la femme artiste, sujet créant. En tant que peintre, elle parle de l’expérience de la peinture et de ses messages, en faisant encore référence à l’histoire de l’art, comme dans ce tableau Original world où la fascinante Origine du monde de Courbet est émaillée des noms des modèles des grands peintres. Parfois le modèle et l’artiste ne font plus qu’un quand elle se représente nue de dos. Ailleurs, dans la série Biotope, en combi léopard sur fond de pages du Monde, il exécute des contorsions telles que le corps crée des signes s’apparentant à des idéogrammes.
THEN, l’artiste a réalisé une sculpture-installation intitulée Matrice. Constituée de moulages de lettres en résine blanche – qui ont sédimenté dans son atelier pendant des années – elle offre le langage comme un espace de circulation ouvert, à l’opposé de définitions closes. Le regard peut déambuler dans l’œuvre, comme il le fait dans les tableaux de l’artiste, y faisant à chaque fois son propre cheminement. Ces matrices, comme l’ensemble du travail d’Agnès Thurnauer, posent la question de la lecture de l’œuvre et mettent l’accent sur la nature mouvante et toujours renouvelée du regard et de ses interprétations. Ni tout à fait figuratif, ni vraiment abstrait, s’affranchissant des codes de mise en œuvre, ce travail aborde tous les champs de l’art et donne à voir sa pensée dans la matière et dans l’espace, en y convoquant ses grands prédécesseurs. Sans préséance. Ainsi, elle rappelle à la fois son goût pour la connaissance de l’art, sa liberté d’expression et, en filigrane, son peu de considération pour la valeur marchande. Roderick Mengham* a raison : « Agnès Thurnauer est une artiste historique dans une situation post-historique ».
WHERE. Le palais du musée étant en travaux, c’est la chapelle de l’Oratoire (face au chevet de la cathédrale) qui accueille l’exposition. Son vaste et lumineux volume offre un espace d’un seul bloc, sans décor distrayant, idéal pour créer une scénographie limpide et cohérente.
Musée des Beaux Arts de Nantes
10, rue Georges Clemenceau, 44000 Nantes.
Jusqu’au 11 mai 2014
L’exposition s’accompagne d’un catalogue édité par Fage. Commissaires : Blandine Chavanne, directrice musée des beaux-arts de Nantes, Alice Fleury, Hélène Retailleau et Catherine Grenier, commissaires associées.
*professeur au Jesus College de Cambridge