La Bretagne est le premier secteur agroalimentaire national avec 15 % du total des emplois. Elle est notamment la première région laitière de France. Mais, revers de la médaille de l’agriculture intensive, la Bretagne est aussi, depuis bientôt 50 ans, un territoire tristement célèbre pour ses algues vertes (environ 35 000 tonnes collectées en 2019). Une situation qui dégénère en tensions conflictuelles, entre notamment défenseurs d’un environnement et d’une nutrition saines et acteurs de la production agroalimentaire industrielle massifiée. Dans cette opposition croissante, quel rôle joue la représentation politique de la région administrative bretonne ? D’un côté, un état des lieux toujours plus inquiétant ; de l’autre, un marketing territorial forcené au service de la promotion de l’économie et de l’attractivité de la Bretagne. Régulièrement, des journalistes qui enquêtent sur la sphère agro-alimentaire se plaignent de subir des pressions. Une frustration mêlée de colère. Un collectif Kelaouiñ s’en est ému qui traduit leur ras-le-bol. C’est fort du soutien de près de 300 professionnels de la presse qu’il exhorte dans une lettre adressée à la présidence de la région bretonne à garantir une information et une parole publique libres, notamment à propos des enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne. Objectif : “faire la lumière sur toutes les zones d’ombre qui entourent l’agro-industrie bretonne et contourner les murs qui barrent l’information des citoyen·nes”, mais aussi “contribuer à la création d’un observatoire régional des libertés de la presse”. La réponse positive ne sait pas fait attendre, signée de la main de Loïg Chesnais-Girard. Dont acte.
À Loïg Chesnais-Girard, Président
Jean-Michel Le Boulanger, vice-président, chargé de la culture et de la démocratie régionale
Olivier Allain, vice-président, chargé de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Lena Louarn, vice-présidente, chargée des langues de Bretagne
C’est la première région laitière de France. Près de la moitié de la viande y est produite. La Bretagne est au cœur du système agricole national, au cœur de tous les enjeux d’ampleur qui y sont liés : santé, environnement, social… Et pourtant, il est très difficile d’informer correctement sur un secteur omniprésent dans notre région : l’agroalimentaire.
Des journalistes sont poursuivi·es en diffamation ou mis·es au placard pour leurs enquêtes, tandis que d’autres, précaires, peinent à retrouver des emplois. Des articles sont censurés, des sujets pas abordés de peur de fâcher les annonceurs, et des subventions municipales sont coupées, comme ce fut le cas pour une radio en pleine émission sur l’élevage intensif.
Le cas d’Inès Léraud est l’exemple de trop. Journaliste et co-auteure de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, elle subit des pressions, dénoncées par un comité de soutien qui s’est monté pour défendre son travail. Le salon du livre de Quintin l’invite ? Sa venue est annulée après l’intervention d’un élu local, également salarié de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor, comme le révèle Le Canard enchaîné en mars 2020. Une édition en breton de sa BD est à l’étude ? L’éditeur Skol Vreizh y renonce, en partie « du fait de l’influence au sein du conseil régional de personnes en charge de l’agriculture », selon son président cité par France 3, le 20 mai 2020.
Les citoyen·nes et administré·es ont besoin d’enquêtes journalistiques qui lèvent le voile. La région Bretagne, collectivité que vous présidez, ne peut laisser place au doute quant à son attachement à la liberté d’informer et d’être informé·es correctement. D’autant plus que le succès de l’ouvrage Algues vertes, l’histoire interdite, écoulé à 46.000 exemplaires, témoigne de l’intérêt croissant des citoyen·s sur les enjeux et pratiques de l’agroalimentaire.
C’est pourquoi, par la présente, nous, journalistes et professionnel·les de la presse, vous demandons de :
- Contribuer à garantir une information et une parole publique libre sur les enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne, et veiller à ce qu’aucune subvention de média associatif ne soit supprimée, au motif que des journalistes auraient signé cette lettre. Nous y veillerons aussi.
- Certifier que nous, journalistes, pouvons interroger en toute transparence et indépendance des élu·es et membres des services régionaux sur ces sujets chaque fois que cela est nécessaire..
- Assurer qu’aucune maison d’édition ne verra ses subventions coupées, maintenant ou dans les prochaines années, pour avoir édité la BD d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, « Algues vertes, l’histoire interdite », en breton et en gallo.
- Intervenir plus largement pour le soutien et la restauration de lieux de formations universitaires à l’information en région.
Et, puisque les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture ont impulsé la création des observatoires départementaux de « l’agribashing », nous vous demandons expressément de contribuer à la création d’un observatoire régional des libertés de la presse. Cet outil indépendant aura pour but de réunir les conditions d’une information transparente et intelligible par tous les Breton·nes. Il devra permettre l’écoute et la protection de journalistes qui viendraient à être inquiété·es pour leurs travaux, et soutenir les enquêtes en cours et à venir.
La lettre que vous avez sous les yeux est l’expression spontanée et déterminée de journalistes qui s’organisent pour faire la lumière sur toutes les zones d’ombre qui entourent l’agro-industrie bretonne et contourner les murs qui barrent l’information des citoyen·nes. Cette initiative a reçu le soutien enthousiaste de confrères et consœurs, de Bretagne et d’ailleurs, qui y ont apposé leur signature. D’autres n’ont pu le faire, craignant pour leur emploi. Une autocensure qui témoigne d’une loi du silence que nous ne pouvons plus tolérer.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir nos salutations les plus distinguées,
Des journalistes et professionnel·les de la presse.
Signataires : Pour suivre le nombre de journalistes signataires cliquez ici, puis sur l’onglet « résultats publics ».
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Lundi 25 mai 2020, à Rennes
Loïg Chesnais-Girard répond à une lettre ouverte de journalistes
Une lettre ouverte m’est parvenue ce matin, où des journalistes expriment une inquiétude vis-à-vis de la liberté d’informer sur l’agroalimentaire en Bretagne. Ils y formulent des revendications afin de garantir cette libre expression.
Je veux dire aux journalistes que, pour moi, c’est oui !
Oui, je suis d’accord pour contribuer à garantir une information et une parole publique libre, sur les enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne, comme sur n’importe quel autre sujet. La liberté de la presse n’est ni anecdotique ni à géométrie variable.
Oui, je peux certifier que tous les journalistes peuvent interroger la Région, en toute transparence et indépendance, à chaque fois que cela est nécessaire. J’en serai le garant, et je suis prêt à répondre de tout manquement à ces principes.
Oui, je suis d’accord pour contribuer à garantir une information et une parole publique libre, sur les enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne, comme sur n’importe quel autre sujet. La liberté de la presse n’est ni anecdotique ni à géométrie variable.
Oui, je peux certifier que tous les journalistes peuvent interroger la Région, en toute transparence et indépendance, à chaque fois que cela est nécessaire. J’en serai le garant, et je suis prêt à répondre de tout manquement à ces principes.
Oui, je peux assurer, comme je l’ai dit à Inès Léraud et au président de la maison d’édition Skol Vreizh, qu’aucune maison d’édition ne verra ses subventions coupées pour la publication de la BD Algues vertes, l’histoire interdite en français, en breton ou en gallo. L’aide à la création culturelle et l’aide à la diffusion ne se conditionne pas, c’est un principe fort que j’assume.
Oui, je m’engage à poursuivre et à amplifier notre soutien aux lieux de formations universitaires à l’information en Bretagne, comme nous le faisons déjà avec l’IUT de journalisme de Lannion.
Oui, je suis disponible pour accompagner la création d’un observatoire régional indépendant des libertés de la presse. La liberté de la presse est un droit constitutionnel non négociable, et je m’engage à participer, à mon niveau, au démantèlement de toutes les autocensures qui empêchent les journalistes de travailler sereinement.
Oui, je suis volontaire pour faire en sorte que la presse puisse faire son travail en toute indépendance et en toute impartialité en Bretagne.
Oui, je suis disponible pour vous recevoir, collectivement ou au travers des représentants que vous choisirez. »
Loïg Chesnais-Girard, Président de la Région Bretagne
Algues vertes, l’histoire interdite