La vie d’Alan Turing, génie mathématique du XXe siècle, est à elle seule une aventure, à la fois scientifique, familiale, sexuelle, politique. Benoît Solès en a fait une adaptation théâtrale, La machine de Turing, mise en scène par Tristan Petitgirard, qui vient de remporter, entre autres, le Molière d’or 2019, catégorie « auteur francophone vivant ».
Laurent Lemire nous avait éclairés, il y a quelques années, dans une édifiante et passionnante biographie sur la vie de ce génie des mathématiques, Alan Turing, l’homme qui a croqué la pomme.
Alan Turing est né en 1912 en Angleterre, de l’union, peu heureuse, d’un père collecteur d’impôts de Sa Majesté dans les lointaines Indes britanniques et d’une mère, vite insatisfaite de sa vie d’épouse. Repartis temporairement vivre en Inde, les parents laissèrent leur enfant sur le territoire anglais, entre les mains d’une famille d’accueil sévère, voire rigoriste. Le jeune Alan en souffrira, et plongera dans une profonde solitude affective, lot de toute sa vie.
Il s’éveillera aux mathématiques à la fin des années 1920. Comme il découvrira, à la même période, son attirance pour les garçons.
Son entrée au prestigieux King’s College de Cambridge, en 1931, l’épanouira, sous l’influence de celui qui fut son maître, le mathématicien John von Neumann. C’est dans cette institution universitaire, en 1936, qu’Alan Turing, le premier, commencera à poser les bases de l’informatique.
Le second conflit mondial lui donnera l’opportunité de servir son pays. Le gouvernement britannique fera appel à son exceptionnel talent de cryptographe, pour décoder, avec succès, les messages de l’armée allemande passés à la moulinette d’une machine ennemie baptisée « Enigma ».
Alan Turing, de cette manière, assurera la survie de la Grande-Bretagne et la libération de l’Europe. Pas moins. Le modeste et discret mathématicien ne dit mot, à aucun moment, de cette contribution essentielle à la victoire finale, à la grande satisfaction de Winston Churchill qui redoutait, dans les années de guerre froide surtout, les dangereuses approches des espions soviétiques.
Alan Turing, au lendemain de la guerre et au sein d’un nouveau centre de recherches, le National Physical Laboratory, imaginera et concevra un premier ordinateur, l’ACE (Automatic Computer Engine, d’un poids de 30 tonnes !). Mais c’est en 1948 et dans sa nouvelle université, à Manchester, qu’il finalisera la construction d’un autre ordinateur digital électronique avec programme d’instruction intégré, une machine aux dimensions infiniment plus réduites qui, cette fois, tenait dans un bureau. Sa découverte, qui allait révolutionner le monde de la science, et le monde tout court, était enfin devenue réalité.
Naîtra ensuite de son bouillonnant cerveau un projet d’intelligence artificielle, alliant biologie et mathématique, mais qu’il n’achèvera pas.
Un fait divers, le cambriolage de sa maison, attirera l’attention de la police sur son mode de vie et la recherche des suspects jettera la lumière sur ses fréquentations homosexuelles. La société britannique des années 50, qui condamnait tout comportement « déviant », lui fera procès et imposera à cet immense homme de sciences, à qui elle devait tant, une castration chimique dont il ne se remettra pas.
Il se suicidera en 1954 en croquant une pomme infectée de cyanure, cette pomme croquée dont on a dit que la firme informatique de l’emblématique Steve Jobs en avait fait son logo.
« Heureusement que les autorités ne savaient pas qu’Alan Turing était homosexuel, autrement nous aurions perdu la guerre », commentera, avec amertume, Jack Good, ancien collaborateur de Turing. La grâce royale vint enfin… mais en 2013 seulement !
Le roman, le théâtre et le cinéma se sont emparés de cette vie exceptionnelle, aussi riche que malheureuse, avec Le Problème de Turing, roman de science-fiction de Marvin Minsky et Harry Harrison, Breaking the code, pièce de Hugh Whitemore, The Imitation Game, film de Morten Tyldum, avec Benedict Cumberbatch dans le rôle d’Alan Turing, sorti en France en 2015, enfin La machine de Turing de Benoît Solès (2018), pièce honorée aux Molières 2019 .