Alexi Shell sort son premier album le 3 mars 2023, Sirens. Entre ambient, techno et pop expérimentale, la DJ, productrice et artiste live parisienne y fait chanter les sirènes qui la fascinent depuis sa plus tendre enfance. Multimédia, cet opus est le pendant musical d’un conte illustré qui offre une lecture queer et féministe de ces personnages mythologiques si redoutés de l’Homme.
Le premier album d’un projet solo, c’est un peu comme la perle qu’une huître met des années à former, en enveloppant d’une beauté nacrée les impuretés du monde extérieur. La perle de la musicienne Alexi Shell s’appelle Sirens et émerge au grand jour le 3 mars 2023.
La musique a toujours eu une place dans la vie d’Alexia Caunille, de son vrai nom. Pianiste depuis ses six ans, elle a aussi appris la guitare et le chant par elle-même. Mais c’est par le détour des Beaux-Arts qu’elle prendra une place prédominante. Étudiante en design textile, récusant le défilé, elle préfère présenter ses vêtements lors de performances. Elle se met donc aux musiques électroniques, usant principalement de synthétiseurs, et un peu de MAO (musique assistée par ordinateur), pour créer ses accompagnements musicaux. Elle termine ses études en se consacrant entièrement à la performance, pratique dans laquelle le personnage de la sirène devient central.
Car, depuis toute petite, Alexi Shell est fascinée par cette figure aquatique. « J’adorerais être une sirène », affirme-t-elle en paraphrasant le titre de son premier EP, I Wish I Was A Mermaid. « Je me suis toujours sentie bien dans l’eau, ou face à l’eau, c’est un élément qui m’apporte énormément de réconfort. Être dans l’eau, en apnée à écouter le bruit sous-marin, comme enfermée dans une bulle, c’est une forme de méditation pour moi », ajoute-t-elle. Pas étonnant alors qu’elle se sente proche des sirènes, au point de vouloir leur ressembler. « Aux Beaux-Arts, j’avais vraiment un style de sirène, je mettais des leggings brillants, j’avais les cheveux de toutes les couleurs, donc on m’appelait la sirène », raconte Alexi.
Et puis, comme la forme des vagues finit souvent par modeler le fond de l’océan, la performeuse se prend au jeu de son personnage. Elle débute la rédaction d’un mémoire de fin d’études portant sur la sirène, explorant sa dimension ésotérique, mais aussi féministe et engagée. « Toutes les cultures se rejoignent pour dire que c’est une figure féminine puissante qui fait très peur aux hommes par sa voix. Ça se termine avec le conte de La Petite Sirène, à qui on enlève la voix pour qu’elle puisse vivre sur terre. Mon projet était de redonner cette voix, qui pour moi est celle de la révolution féministe », explique-t-elle.
Ses études achevées, la sirène reste la figure tutélaire de son projet musical, la mer son environnement. Elle aurait pu choisir comme signature Alexi Mermaid, mais préfère aux strass des écailles le confort du coquillage (shell, en anglais). « Je suis quelqu’un d’assez dans ma bulle, j’ai besoin de me retrouver seule dans ma coquille. J’attache beaucoup d’importance aux espaces dans lesquels je me trouve, et si je vivais sous l’eau, j’aimerais avoir mon coquillage où me réfugier », justifie-t-elle. Alexi Shell sera donc cette coquille dans laquelle Alexia Caunille mature ses perles musicales où se superposent nappes ambient aquatiques, synthés aériens et envolées techno lumineuses.
En 2020, Alexi Shell donne le ton avec un premier EP, I Wish I Was A Mermaid. Sirens, à paraître le 3 mars 2023, nous plonge plus profondément encore dans son univers de pensée aquatique et artistique. De même que les premières compositions d’Alexia servaient à accompagner ses performances, les huit titres de l’album répondent aux chapitres d’un conte revisitant la légende des sirènes. Sirens se présente donc comme une œuvre multimédia. C’est un album musical, un conte coécrit par Alexi Shell et la journaliste Costanza Spina et illustré par Pauline Pylône. Son univers se décline aussi en vidéo avec le clip de « The Fall », réalisé par Florent Augizeau.
Telle la sirène, la musique d’Alexi Shell est hybride. La musicienne insuffle dans cet album ses multiples influences, aussi distantes soient-elles l’une de l’autre : de l’ambient à la Juliana Barwick ou Malibu à la techno au tempo effréné de Casual Gabberz, Anetha ou Sarah Landry. Également inspirée par des artistes comme Weyes Blood ou Oklou, elle a voulu explorer une dimension pop expérimentale dans cet album en utilisant davantage sa voix. Jusque-là, celle-ci servait à créer des nappes, « façon chant de sirène ». Elle est désormais réellement chantée. Elle reprend même, dans le morceau « Sirens », le chant en grec ancien des sirènes qui cherchent à attirer Ulysses dans L’Odyssée.
Dans Sirens, la musique est conçue pour porter un récit, son déroulement d’actions et son nuancier d’émotions. L’album s’ouvre sur une séquence quasi cinématographique avec « Floating Pain », qui pose la situation initiale. Des êtres non-binaires, appelés Adelphes, sont pris en otages par l’Homme dans la cale d’un bateau. Ielles appellent à l’aide les sirènes, « sorcières de la mer ». Celles-ci viennent à leur rescousse et ensorcellent l’Homme, qui libère les Adelphes puis se jette à l’eau. Il se transforme alors en écume, le même sort réservé à la petite sirène dans le conte original d’Hans Christian Andersen. Les sirènes escortent ensuite les Adelphes jusqu’à leur île, peuplée de créatures magiques, où se joue « une fête infinie, colorée, célébrant l’amour, les corps, et la transformation ». Les morceaux de l’album illustrent les différents chapitres du conte, rendent l’émotion du texte plus tangible par la musique. La techno, par exemple, par son aspect protéiforme, peut aussi bien exprimer la révolte du début que la joie festive de la fin heureuse.
Ce conte imaginé par Alexi Shell et finement tracé par la plume de Costanza Spina est une sorte de somme de lectures sur les sirènes. Il s’inspire notamment du livre Les Abysses de Rivers Solomon qui reprend ielle-même la mythologie inventée par les pionniers de la techno, Drexciya. Selon la légende du duo, les enfants des femmes esclaves enceintes jetées par-dessus bord par les négriers pendant les traversées de l’Afrique vers l’Amérique auraient survécu. S’adaptant à leur nouvel environnement aquatique, ils auraient bâti une Atlantide noire, Drexciya. « Rivers Solomon invite à faire un téléphone arabe avec ce conte, comme ielle l’a fait. L’histoire de l’esclavage n’est pas la mienne. Mais je suis une femme queer, et j’ai voulu adapter l’histoire aux minorités en général, à ma propre histoire et à ma communauté »
Reste à savoir si l’île aux sirènes, ce lieu magique, est pure utopie, ou si elle peut bel et bien exister. Elle renvoie évidemment à la notion de safe space, idéal vers lequel souhaitent tendre certains promoteurs de soirées, notamment issus des milieux queers. « Des endroits 100 % safe, ça reste compliqué à trouver, mais il y a quelques soirées, comme les Dykes Out ou les Barbi(e)turix à Paris, dans lesquelles je ressens cette île aux sirènes », affirme Alexi Shell.
À l’occasion des Inouïs du Printemps de Bourges, la musicienne a pu présenter pour la première fois son album en live, le 2 février 2023. Avec succès, puisqu’elle a remporté cette audition. Une résidence de deux semaines au Château éphémère (Carrières-sous-Poissy) en mars lui permettra de créer un show immersif avec des jeux de lumière et de projection, dans lequel elle incarnera un personnage mystérieux qui plongera le public au fond de son océan intime.
Prochaines dates :
10 mars – Chapeau Pointu, La centrifugeuse, Pau
17 mars – Château Ephémère, Carrières-sous-Poissy
7 avril – Release Party, Boule Noire, Paris
19 avril – Inouïs du Printemps de Bourges