En 2017, débutait la carrière musicale d’Aloïse Sauvage. Cette artiste polyvalente, découverte par le grand public comme actrice, présente actuellement son spectacle articulé entre autres autour des chansons de son dernier EP « Jimy ». C’est dans ce contexte qu’elle a offert une prestation éblouissante le 9 juin dernier lors de la deuxième journée du festival Art Rock de St Brieuc.
Aloïse Sauvage poursuit une carrière artistique déjà riche et placée sous le signe de la pluralité. Née en 1992 au Mée-sur-Seine (77), l’artiste compte dans sa famille quelques musiciens amateurs et semi-professionnels. Mais sa vocation musicale lui vient vraisemblablement vers l’âge de 7 ans lorsqu’elle tombe en admiration devant la flûte traversière d’un musicien soliste pendant un concert de musique irlandaise. Elle apprend ainsi la pratique de cet instrument au conservatoire puis celle de la batterie et du saxophone, officiant même dans des groupes divers styles. Quelques années plus tard, elle se découvre une passion pour la danse, fait ses premiers pas de breakdance et écrit ses premiers textes slammés à la pré-adolescence. Par la suite, elle entre à la fameuse académie de cirque contemporain Fratellini, où elle suit une formation spécialité acro-danse. Puis en 2015, Aloïse Sauvage débute une carrière d’actrice dans le film « Mal de pierres » de Nicole Garcia. Elle se révèle encore davantage en campant le rôle d’Eva, militante de l’association Act’Up dans « 120 battements par minutes » de Romain Campillo, Palme d’or du festival de Cannes de 2017. C’est cette même année que commence réellement son activité parallèle de chanteuse, mise en lumière par la sortie du clip de « Ailleurs higher » réalisé par le photographe et vidéaste Zenzel.
Après avoir dévoilé quelques autres titres, son travail est vite remarqué par les professionnels du spectacle et elle enchaîne alors une suite de concerts marqué en Bretagne par son passage en décembre 2017 aux Bars En Trans. L’année suivante, elle est choisie pour assurer le spectacle « création » des Transmusicales de Rennes du 5 au 9 décembre. Sa performance au Théâtre de L’Aire Libre avait ainsi conquis les spectateurs venus la découvrir et lui avait permis de développer davantage le contenu de son spectacle. Forte de cette reconnaissance, elle avait également pris le temps de préparer la conception de son premier EP « Jimy », sorti le 29 mars dernier sur le label Initial. Cet événement fut suivi dès le lendemain d’une prestation de l’artiste au Cabaret Botanique, dans le cadre du festival Mythos. Le 9 juin dernier, elle a donné un spectacle tout aussi vibrant au public de la scène B, au festival Art Rock de St Brieuc.
Il est minuit passé lorsque résonnent les premières notes d’ « Hiver Brûlant », sans doute l’un des titres les plus combatifs d’Aloïse Sauvage. Elle entre enfin sur scène accompagnée de ses musiciens, le batteur Veeko Morlet et le claviériste Hugo Fourlin. Puis elle s’empare du micro et dévoile sans attendre son univers trouble et fiévreux.
Dès la première écoute, on perçoit que la plupart des chansons qu’elle interprète sur scène sont marquées par une vocalité scandée et des instrumentaux ancrés dans les esthétiques contemporaines du rap français. En effet, l’adolescence d’Aloïse Sauvage fut rythmée, entre autres, à l’écoute d’artistes hip-hop de diverses sensibilités : parmi eux, on compte des artistes à la plume stylisée comme MC Solaar et Oxmo Puccino ou d’autres au verbe plus tranchant comme Sinik. De même, elle a partagé la création de ses morceaux avec le jeune compositeur Josh Rosinet, lequel a notamment travaillé avec le rappeur Dosseh. La réalisation de son EP a également été supervisée par Olivier Lesnicki alias Le Motif, autre compositeur notable dans la sphère du rap et connu entre autres pour ses collaborations avec Booba et SCH. Cette composante hip-hop et les arrangements élaborés de ses chansons lui permettent de mettre en avant une expression à la fois percutante et très mélodieuse, alliée à un certain lyrisme et une écriture poétique palpable qui la rapproche également de la chanson française. On décèle notamment un habile travail des sonorités, à travers un maniement d’assonances et d’allitérations délectables. Elle y excelle par exemple dans « Jimy », chanson titre de l’EP qu’elle évoque comme sa chanson la plus personnelle, ou encore dans « Présentement » :
« J’essaye de te rassurer, mais j’assure pas.
Puissent les astres nous susurrer leurs astuces fiables
Pour durer ad vitam sans doutes même dans le désert,
Quand déserte le désir qui nous faisait jadis danser. »
De même, on peut considérer que son recours à un léger auto-tune sur de nombreux titres lui rajoute un certain relief supplémentaire et participe, en un sens, de sa créativité.
Dans ses chansons, Aloïse Sauvage met donc en mots et en musique les doutes et les angoisses mais également les passions intenses et les pulsions de vie qui la dévorent. Des situations qu’elle évoque à travers des histoires contrariées voire tourmentées (« Présentement ») ou qu’elle traduit parfois par images, comme par exemple dans « L’orage ». Ainsi dans certains morceaux,, elle semble mettre en avant des sortes de photographies verbales illustrant ces moments marquants et les émotions qui jalonnent sa vie et qui parfois nous parlent. Par ailleurs, dans cette chanson et dans d’autres titres comme « Parfois faut » , elle semble mettre en avant ses pulsions de vie et son aptitude à attendre la fin de l’orage pour mieux venir à bout de ses maux. Ces derniers semblent presque se confronter à son phrasé au débit souvent dense, mais à la rythmicité toujours très maîtrisée. Y apparaît une réelle profondeur qui exprime son urgence de vivre, allant de pair avec sa sensibilité à fleur de peau. On est également touchés par ses moments de grâce et sa sensualité, qui trouvent leur exutoire et se manifestent tout à fait dans « À l’horizontale ».
Dans son ensemble, le spectacle d’Aloïse Sauvage rappelle qu’elle puise plus généralement son inspiration dans les différentes formes artistiques auxquelles elle est sensible depuis son enfance, tant du côté de la musique que de la danse, du cinéma ou des arts du cirque. Elle nous emporte et nous séduit ainsi par la transversalité qui caractérise chacune de ses performances, de sorte qu’on ne saurait la borner au seul champ du hip-hop et des musiques dites urbaines. L’artiste se définit d’ailleurs comme plurielle et à l’expression avant tout instinctive. De même son expressivité s’avère renforcée par ses gestuelles presque théâtrales et ses chorégraphies qui, elles aussi, illustrent de façon poétique chacun de ses états d’esprits. Très souvent révélatrices de sa fougue presque inépuisable, elles sont parfois tirées du breakdance, comme à la fin de « Présentement », mais relève également de l’acro-danse présente dans le cirque contemporain. Après avoir tournoyé telle une toupie autour du filin de son micro, c’est suspendue et virevoltante dans les airs qu’elle a conclu sa prestation avec le dynamique « Aphone », repris en choeur par les festivaliers de St Brieuc. En résumé, un tourbillon d’émotions qui devrait marquer longtemps les esprits…