Pour sa première exposition personnelle en France, l’artiste argentine Amalia Pica est l’invitée de la Criée, centre d’art contemporain de Rennes. Elle y prolonge un projet initié au musée Tamayo de Mexico à l’été 2013. Dans un lieu bien adapté à ses productions, elle présente quelques sculptures et une vidéo inédite sous l’intitulé One thing after another. Représentation, énonciation et désignation. Récit.
Une fois pénétré le vestibule des Halles centrales, place Commeurec, le fonctionnement comparatiste de la pensée analytique renvoie d’emblée aux mobiles de Calder et au Kinderbuch de Diether Roth. Elégamment disposées dans un espace idéal pour ce type d’exposition intime, le regard accompagne la déambulation autour de ces sculptures géométriques aux couleurs primaires. Et cette révolution prend tout son sens grâce à une vidéo de quelques minutes qui offre, dans une pièce attenante dessinée pour l’occasion, autant une performance qu’une explication sous-jacente des constructions de la partie principale.
Amalia Pica donne à voir et à réfléchir les relations entre formes, couleurs et formulation, autrement dit entre géométrie, vision et langage. Qu’est le réel avant et sans les filtres du système sensitif et cognitif de la conscience qui permet au sujet humain de percevoir et formuler ? À quoi ressemble la création avant l’apparition de l’homme ? Quels sont les éléments premiers, primaires, primitifs, de la représentation ?
Amalia Pica renvoie à cet ensemble d’interrogations ontologiques et ontiques. Elle pointe le porte-à-faux de la condition d’être-humain-au-monde : l’incapacité d’une juste désignation des choses. En deçà de la Tour de Babel et de la confusion des langues. Au-delà des codes communicationnels et de leur multiplication dans la modernité. Ce qu’elle cible est l’aspiration déçue à une énonciation unique où la nomination adhérerait à l’objet dans une plénitude telle qu’elle ferait identité. Une exacte, pleine et authentique désignation et participation du réel.
Fort heureusement, l’art ici joue son rôle à plein : en ouvrant le champ de l’interrogation, l’artiste fraie une perspective de réponse. Une démarche ni dogmatique ni conceptuelle, quelque chose d’une sémiotique négative. Si l’accès à un pré- ou infra-langage objectif est clos, si la possibilité d’un post- ou méta-langage total, universel et commun, constitue avec la recherche de l’immortalité les deux faces de la révolte de la créature, l’artiste ex-pose sa forme d’œuvre comme acte-formulation performatifs. Dans le questionné s’évase un interstice où la réponse se donne en creux.
En ce sens, cette exposition est susceptible de questionner en pratique aussi bien les adultes que les enfants, les férus d’arts aussi bien que les néophytes. D’autant mieux qu’elle invite chacun à produire sa propre narration. Puis à la mise en commun des expériences interprétatives qui en résultent. Sachant qu’au final, qu’est-ce que l’identité des choses, si ce n’est le fruit d’un partage narratif au socle continûment mouvant ? La Criée remplit ici pleinement son rôle de médiateur d’art dans la cité.
Comment achever cette introduction à One thing after another d’Amalia Pica ? Quel point de fuite à la réflexion qui se présente ? Autrement dit, aux limites de notre monde, de sa représentation et de son interprétation ? Avec Wittgenstein. Par la conclusion de son Tractatus logico-philosophicus : « Il y a assurément de l’inexprimable. Celui-ci se montre, il est l’élément mystique. Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire. »