C’est en début d’année que l’ancienne maison de François Pinault et de Louise Gautier, située au 96 route de Lorient à Rennes, a été rasée afin de laisser place à un nouvel ensemble immobilier. Certes, ce n’était sans doute pas la plus jolie des maisons ainsi livrées en pâture aux grues et autres pelleteuses, mais elle symbolisait l’ascension sociale d’un Breton classé aujourd’hui parmi les 10 plus grandes fortunes de France. Sa destruction symbolise également l’appétit des promoteurs dans un quartier autrefois mal-aimé.
La destruction de l’ancienne maison de François Pinault, mais également de celle de la famille Gautier située sur la même parcelle (en fait ses ex-beaux-parents) fait partie d’un programme de « destruction-reconstruction » à outrance de toute la rue de Lorient. Rue qui voit peu à peu toutes les maisons individuelles disparaître au profit d’immeubles dont les appartements sont hors de prix. Quartier autrefois boudé, les tarifs ont plus que doublé en 10 ans : une maison (de plus en plus rare donc) se négocie aujourd’hui dans les 400 000 € et un appartement jusqu’à plus de 4000 €/m2 dans le neuf (comme au 73 rue de Lorient).
Cette maison n’est pas la première à être détruite ni ne sera la dernière. D’autres projets sont en cours : les panneaux de permis de construire fleurissent (je le concède, c’est un très mauvais jeu de mots…) un peu partout ; les habitants du quartier se demandent quelle maison sera la prochaine sur la liste des promoteurs aux aguets et au taquet. La suivante sur la liste des destructions massives est, malheureusement, une maison dotée d’un jardin extraordinaire : les habitants du quartier, éberlués, ont vu un immense panneau se monter dans le jardin, annonçant de futurs magnifiques studios de 35 m2 à partir de 128 500 €… et un grand parking à la place des fleurs variées et de cet arbre majestueux qu’est le Ginkgo Biloba (plus que centenaire, il pourrait vivre encore quelques siècles si on le laissait tranquille. Le « Ginkgo » est l’espèce d’arbre la plus ancienne connue à ce jour, près de 300 millions d’années, un arbre synonyme de croissance et longévité (sa feuille est même devenue le symbole de la ville de Tokyo). Cet arbre, donc, l’exemplaire mâle* – dont la femelle a déjà été sauvée par le Comité de quartier, lui-même prévenu par un vaillant pépiniériste chargé de l’abattre et qui réside actuellement rue Guillaume Régnier – serait menacé par un promoteur alors qu’il est né au moment de la publication de La Terre à la Lune de Jules Verne, l’année de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis ou encore la naissance de Rudyard Kipling ? Un arbre célébré par Goethe ? Un arbre qui a survécu à deux guerres mondiales ? Naturellement, les habitants se mobilisent pour sauver le Don Juan de la mort prématurée afin qu’il puisse rejoindre sa dulcinée et vivre à ses côtés encore des siècles et des siècles… Cette mobilisation aura d’ailleurs lieu le jeudi 12 novembre à 19 heures, au début du boulevard Marbeuf (Rennes).
Pratiquement en face de ce jardin, une maison des années 30 attend son heure depuis des mois, celles devant la pharmacie au bout de la rue également et combien d’autres en cours de négociation ? Les maisons de la rue de l’Alma ont disparu et que vont devenir celles du Canal Saint-Martin ? Ne reste-t-il que nos appareils photo pour ne pas oublier l’architecture singulière de Rennes et pouvoir la raconter aux générations futures ? Ne restera-t-il finalement que l’hyper centre-ville comme témoin du passé ? De la rue du Chapitre à la place Saint-Anne, en passant par la place Rallier du Baty ? Et tout autour : des immeubles. Des immeubles, tous à peu près similaires, sans aucune fantaisie ; car nous, on n’a pas la chance d’avoir un Hundertwasser pour nous imaginer des bâtiments un peu plus gais que les sinistres cubes ou rectangles actuels, parfois avec un modeste balcon censé ajouter de la plus-value, malgré sa vue sur rue et son prix de départ qui donne le tournis… Mais comme le dit Stéphane Plaza, le fameux agent immobilier-acteur, qui arrive à faire la joie de centaines d’acheteurs en leur refourguant des maisons de parpaings à plusieurs centaines de milliers d’euros, grâce à un coup de peinture et quelques meubles suédois :
Il faut plaire au plus grand nombre.
Reste à savoir si « le plus grand nombre » a vraiment le choix étant donné l’explosion des prix de l’immobilier et, surtout, s’il a son mot à dire quant à l’architecture (pour le moins contestée et contestable) des nouveaux immeubles qui sont avant tout construits pour rapporter des bénéfice et non au service du bien-être des membres d’un communauté de vie urbaine.
En attendant, Rennes fait la part belle aux promoteurs, au grand dam des amis du patrimoine rennais et de tous les amoureux des vieilles pierres qui tentent, souvent en vain, de sauver de belles maisons anciennes (comme au 15 rue Leguen de Kerangal ou encore au 69 avenue Aristide Briand) ou des édifices importants du patrimoine de la ville. Mais parfois, la destruction est aussi accompagnée de l’expropriation de ses habitants comme on l’a vu rue de l’Alma ; sur les bords du Canal Saint-Martin, la ville souhaite chasser des habitants pour y mettre des vaches, tout ça sous la houlette d’une agence de paysagistes… parisiens !
Un peu de musique pour terminer ? Il semble que Dutronc convienne parfaitement.
Brève présentation de François Pinault, « notre » illustre entrepreneur breton :
Monsieur Pinault est né en 1936 dans les Côtes-d’Armor (alors nommées Côtes-du-Nord), il n’a pas de diplôme, mais il est malin et travailleur. Il travaille pour le fournisseur de bois de la scierie de son père, Monsieur Gautier, dont il épouse la fille, Louise. Il a alors 26 ans. Toute la famille habite route de Lorient (à Rennes donc) dans deux maisons distinctes, mais proches l’une de l’autre. Le jeune François rachète l’entreprise de son beau-père, lequel lui prête aussi de l’argent que son gendre fera fructifier à tel point qu’il est aujourd’hui dans le groupe des 10 personnes les plus fortunées de France. François Pinault s’achète le Stade Rennais Football Club qui évolue donc au Stade de la route de Lorient jusqu’en juin 2015, date à laquelle il prend le nom singulier de… Roazhon Park (propriété de la ville de Rennes). En 2011, François Pinault s’achète la Villa Greystone à Dinard pour la coquette somme de 13 millions d’euros : cette villa-là sera certainement protégée des grues et on ne peut que s’en féliciter.
*NB : du fait de son ancienneté sur terre, le Ginkgo-Biloba présente des caractères archaïques et primitifs. Il appartient à l’ordre des « préspermaphytes », ce sont des plantes qui ne produisent pas de « vraies » graines. Ainsi les Ginkgos femelles produisent de simples ovules qui devront vite être fécondés par le pollen des Ginkgos mâles.