Marc Feldman, le très américain administrateur général de l’Orchestre de Bretagne, avait jeudi soir, à l’issue de la première prestation de ses protégés, quelque motif d’arborer un franc sourire de satisfaction. La présence de l’artiste invité, Anne Gastinel, a sérieusement pesé dans la balance. La violoncelliste française s’est déjà taillée sur la scène mondiale une solide réputation. Elle a magistralement démontré qu’elle n’était en rien usurpée.
C’est sur un remarquable instrument milanais de Carlo Giuseppe Testore qu’Anne Gastinel a démontré à quel point elle domine tous les aspects techniques de son instrument. Elle n’avait d’ailleurs pas choisi la facilité en interprétant le concerto pour violoncelle n° 1 de Bohuslav Martinu. Le premier mouvement, très énergique, sonne un peu comme une musique que l’on qualifie habituellement de « nationale », les sonorités clairement slaves contribuent à affirmer l’identité musicale de ce concerto. Pourtant apparaissent parfois des mélodies aux sonorités tout aussi clairement françaises, pas de quoi être dérouté si l’on sait que Martinu vivait en France dès le début des années 20 et qu’il était le disciple d’Albert Roussel. Il était venu puiser à la source selon ses mots : « l’ordre, la clarté, la mesure, le goût, une expression juste, sensible et immédiate, en un mot les qualités de l’art français que j’ai toujours admiré ».
Le deuxième mouvement, Andante Moderato, constitue une méditation lente et pleine d’intériorité qui nous dispense ces jolis moments de magie que nous attendons tellement d’un concert. L’Orchestre de Bretagne, sachant se faire discret, offre au Violoncelle un écrin feutré qui lui permet d’entamer un dialogue quasi amoureux avec l’alto.
Le troisième mouvement, Allegro, remet en valeur la virtuosité d’Anne Gastinel. La technique est évidente mais n’obère en rien la profondeur du propos ; il y a dans ce mouvement une grande expressivité. Le visage de l’interprète est sévère, tendu, entièrement tourné vers son univers musical. Anne Gastinel disait d’elle même au petit cocktail rassemblant les amis de l’OSB que sur scène « elle n’était pas marrante ». Elle ne manquait pas d’éclater de rire l’instant d’après !
La manifestation d’enthousiasme du public rennais lui vaut dès le troisième rappel un bonus de qualité. L’Andante Cantabile de Piotr Illich Tchaïkovski vient figer l’assistance dans un moment de pure extase – un seul mot à dire : exceptionnel !
Notre violoncelliste n’en reste pourtant pas là. Elle nous inflige un délicieux coup de grâce en interprétant la sarabande de la 4e suite pour violoncelle seul de Jean Sébastien Bach.
Après les emportements de Martinu, les sinueuses mélodies de Tchaïkovski, elle n’hésitait pas à se mettre en risque devant son public. Comment ? En offrant une musique aux sonorités très simples et très équilibrées, autrement dit, terriblement risquée.
La conclusion s’impose : Madame Gastinel… Merci.
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« Faire tout le bien qu’on peut, aimer la liberté par-dessus tout ; et, quand se serait devant un trône, ne jamais trahir la vérité ! », c’est ainsi que Beethoven se définissait lui-même.
La troisième symphonie, que nous connaissons tous sous le nom d’héroïque, démontre à quel point il sut rester fidèle à ce principe de vie. Pour cela, plongeons-nous un peu dans l’histoire… Après 1800, l’avenir semblait plus radieux pour Beethoven, puisqu’il trouva auprès du public un succès mérité. Ses aspirations personnelles paraissaient enfin en voie de réalisation. La Révolution française s’exportait et les tyrans voyaient leur trône vaciller. Schindler, un des confidents du maître de Bonn, souligne à quel point il était sensible aux principes républicains : « Il était partisan de la liberté illimitée et de l’indépendance nationale…il voulait que tous concourussent au gouvernement de l’état … il voulait pour la France le suffrage universel et il espérait que Bonaparte l’établirait et établirait ainsi les bases du bonheur du genre humain ».
Ces idées l’occupaient à tel point qu’il écrivit une nouvelle symphonie intitulée « Bonaparte». Elle était à peine achevée (1804) qu’il apprit le couronnement de Napoléon. « Ce n’est donc qu’un homme ordinaire ! », s’écria-t-il. Il déchira la dédicace et écrivit ce nouveau titre : Sinfonia eroica composta per festegiarre il souvenir di un gran uomo (Symphonie héroïque composée pour fêter le souvenir d’un grand homme.)
Il n’était donc pas question pour l’Orchestre de Bretagne de considérer l’exécution de cette œuvre comme un complément à la prestation d’Anne Gastinel, histoire de faire bon poids bonne mesure afin que le public Rennais en ait pour son argent.
Sascha Goetzel n’avait pas non plus l’intention de faire dans la facilité. Ce chef invité qui nous avait déjà convaincu dans Rigoletto a dirigé d’une main inspirée cette magnifique symphonie. L’émotion atteindra son comble lors de l’exécution de la marche funèbre… Funèbre oui, mais qui contient toujours cette notion d’espoir, cette aspiration à l’idéal qui dessine une constante de l’œuvre de Beethoven. Au-delà des imprécations et des souffrances de l’homme, la lumière est toujours présente. La fin du mouvement est ponctuée d’accords qui suggèrent l’apaisement. Ce n’est plus un paysage de désolation et de guerre mais l’aube d’un jour nouveau. Les dernières terreurs de la nuit s’estompent avec le retour du soleil. Quelques notes de violon… un long accord… le calme revient.
L’Orchestre de Bretagne a réellement impressionné à l’occasion de cette soirée d’ouverture. Les cordes ont été éblouissantes, la flûte, la clarinette et le hautbois nous ont laissés sans voix. Voilà donc un début de saison qui augure de bons moments musicaux à venir. Marc Feldman avait bien raison d’afficher un sourire malicieux. Quel bon tour il venait de nous jouer !
N.B. Unidivers souhaite la bienvenue au nouveau violoniste japonais qui vient de rejoindre l’effectif de l’OSB… Puisse t’il se plaire en Bretagne !