Funeral, premier album du septuor canadien Arcade Fire, a fêté ses dix ans en septembre dernier. L’occasion de revenir sur la carrière d’un groupe qui figure d’ores et déjà au panthéon des plus grandes formations de l’histoire du rock.
En 2002 à Montréal se rencontrent plusieurs jeunes Québécois, dont une certaine Régine Chassagne, et Win Butler, Texan qui étudie la théologie à l’université de McGill. Un groupe se forme alors autour de ce jeune couple Butler/Chassagne. Le frère de Win, William, rejoint à son tour le groupe. Du moins une formation en devenir, encore instable, mais qui réussit à sortir un premier EP en 2003, sobrement intitulé Arcade Fire (EP). Les quelques chansons publiées révèlent certes un véritable sens mélodique ainsi qu’un talent pour le songwriting, sans pour autant signer un quelconque coup d’éclat.
Arcade Fire explose réellement avec la sortie de Funeral, en septembre 2004. Les retombées critiques sont globalement dithyrambiques,– chose rare pour un premier album. Le grand David Bowie évoque même un « coup de génie musical ». Aujourd’hui, l’album reste profondément saisissant, aussi bien par sa richesse musicale que par la profondeur des textes de Win Butler. Arcade Fire réenchante le rock en introduisant dans sa musique des instruments baroques, comme le violon et l’accordéon, qui se fondent à merveille dans les morceaux du groupe. En témoignent des pièces maîtresses comme Rebellion (Lies), Wake Up ou Crown of Love, titres dans lesquels les cordes viennent souvent épouser le chant lyrique de Win Butler et Régine Chassagne. Les morceaux de Funeral, portés par cette richesse mélodique, parviennent à donner naissance à des émotions authentiques. Dans ce disque hanté par le deuil – les membres du groupe ont d’ailleurs perdu des proches pendant la phase d’enregistrement du disque, le septuor livre dix morceaux à la fois cohérents et uniques, qui créent tous une ambiance différente : là où Neighborhood #4 (7 Kettles) berce le lecteur avec un rythme calme, Wake Up constitue un hymne énergique qui nous invite à dépasser la douleur ressentie face à la mort d’autrui. En mêlant innovation stylistique et profondeur des textes, Arcade Fire a signé un disque générationnel, à la saveur mélodique et l’intensité émotionnelle toujours intactes.
Depuis Funeral, Arcade Fire a publié un nouvel album tous les trois ans. En 2007, avec Neon Bible, le groupe perpétue ses explorations. Plutôt que de répéter la formule du succès obtenu précédemment, les Canadiens radicalisent leur musique, et proposent un album à la noirceur sidérante. Certains morceaux impressionnent, comme Black Mirror ou The Well And The Lighthouse, sans parvenir à la même puissance mélodique que les hymnes de Funeral. Mais, malgré ces quelques exceptions, la plupart des morceaux retrouvent la cohérence stylistique et intellectuelle de Funeral. L’album s’achève sur le magnifique My Body is a Cage, une des plus belles compositions du septuor. Trois ans plus tard, Arcade Fire rencontre le succès mondial avec The Suburbs, qui se veut un croisement entre Neil Young et Depeche Mode. L’album impressionne par son homogénéité totale, poussant si loin l’idée d’album-concept qu’il s’apparente presque à un seul morceau. Les titres répondent les uns aux autres, aussi bien au plan des paroles qu’à celui des instrumentations. Enfin, il y a bientôt un an, le groupe a sorti Reflektor, carrefour d’influences particulièrement marqué par la musique caraïbéenne et la dance music. Produit par James Murphy, ex-leader d’LCD Soundsystem, les morceaux de Reflektor, à commencer par le titre du même nom, deviennent extrêmement rythmés et funky, suivant une tendance légèrement amorcée avec l’album précédent, et notamment le superbe morceau Sprawl II (Mountains Beyond Mountains).
Dix ans après la sortie de Funeral, la discographie du septuor canadien impressionne par sa cohérence. Après un premier EP moyen, le groupe a sorti quatre albums originaux et marquants, qui fascinent encore à l’heure actuelle. Avec les Arctic Monkeys, Arcade Fire semble être le seul des groupes incarnant le renouveau rock du début des années 2000 à avoir confirmé les grands espoirs placés en lui : les Strokes ont sorti dans les dernières années deux disques médiocres, qu’ils déclaraient détester avant même leur sortie ; Franz Ferdinand ne retrouve pas le génie de son premier album ; les Hives se retrouvent réduits à quelques tubes, mais ne se renouvellent pas… Là où en automne dernier, les Arctic Monkeys ont sorti un cinquième album époustouflant, sobrement intitulé AM, et Arcade Fire son quatrième essai, l’éblouissant Reflektor. En live, les Canadiens impressionnent également, s’engageant dans chaque concert comme si c’était le dernier. En témoigne le Reflektor Tour, achevé fin septembre 2014 à… Montréal.
Arcade Fire est un groupe à (re)découvrir au plus vite. Son parcours exemplaire en fait l’une des formations les plus importantes de son temps, voire de l’histoire du rock. Gageons qu’il continue à faire rimer succès et créativité…