Armand Robin, pourquoi son oubli ? Certaines dates vous invitent à revenir vers ceux que vous avez rencontrés par hasard ou par obligation, qui vous ont intéressés ou qu’une circonstance particulière vous ramène en souvenir. C’est bien le cas du poète Armand Robin
Les écrivains que vous avez aimés lire sont de ceux-là. Leurs livres sont quelque part cachés dans le désordre de votre bibliothèque à moins que vous les ayez prêtés pour que d’autres les ouvrent à leur tour. 2021 fête ainsi Anjela Duval et Xavier Grall (1). Des livres sortent à cette occasion, des évènements culturels leur rendent hommage (2).
Cet effort de mémoire, par les temps qui courent, est le bienvenu dans une société où l’actualité occupe tout de l’espace à vivre. Pourquoi ne pas le poursuivre puisque le sujet dont je me propose de vous parler, personne n’en parle. Tout a commencé, pour ce qui nous concerne lui et moi, à partir d’une parenté du pays plinn, celui de l’intérieur des terres.
Un triangle Rostrenen, Plouguernevel, Saint Nicolas du Pelem, dans les maintenant élégamment appelées Côtes d’Armor. La curiosité me perdra toujours et j’avais voulu en savoir plus sur cet auteur publié chez Gallimard. Les demi-journées à la Bibliothèque Nationale à lire des microfilms sur une machine datant de Mathusalem ont alors occupé mes mercredis d’internat après bac. Plus longuement qu’il aurait fallu, car je n’avais aucun talent pour fouiller les archives. J’avais pourtant retrouvé quelques articles dans Le Libertaire, Comoedia, dans quelques volumes de la NRF que sais-je encore. Les tirages sur papier photo même dans une bibliothèque publique coûtaient à l’époque quelques sous et l’économie était la règle.
En arrivant des années plus tard à Rennes, je me souviens d’une rencontre doublement ensoleillée. Nous étions place Saint-Germain assis à une modeste table de café posée sur le trottoir. Doublement, car non seulement il faisait beau mais elle aussi se passionnait pour le même écrivain. D’autant que née à Rostrenen comme Danielle Collobert (3), nous étions voisins sans nous connaître. Discussion, documents vite échangés, projets d’animation sur lesquels travailler ensemble, nous partagions l’idée que l’étiquette de poète maudit sous laquelle il était rangé n’était qu’une mauvaise part de la réalité. Et puis la vie nous a amenés à partir chacun de notre côté, moi poursuivant mes travaux en Sciences, elle en Lettres. J’ignorais, et elle sans doute aussi, qu’elle en ferait des années après une thèse et une bataille de longue haleine.
Vous avez deviné leurs noms, j’en suis certain. Armand Robin, c’est lui, rangé avec Artaud, Lautréamont, Nerval et d’autres. Une étagère confortable s’installant dans les livres et nos têtes et d’une certaine manière si facile à comprendre et à suivre pour les jeunes gens dont j’étais. La vie il est vrai de Robin s’y prête, pauvre, chaotique, désespérée et si troublante sur la fin. Ses engagements comme ses écrits. Il y avait là, avec les polémiques sur son comportement pendant la guerre, tous les ingrédients de vente d’une image et d’une œuvre. Et le second personnage de ma petite mise en scène, me direz-vous ? Il s’agit bien sûr de Françoise Morvan. Une immense énergie mise à rassembler, étudier, publier des textes oubliés, transcrire des émissions de radio, à comprendre le sens de qu’il voulait donner à sa poésie, ses traductions et tout simplement à sa vie (4).
Cinquante ans de travail, presqu’autant de controverses, de déchirements qu’il est impossible de résumer ici et qui n’ont pas effacé l’image dont il est affublé depuis sa mort (5). De mon côté, il m’aura fallu longtemps avant de pouvoir écrire quelques lignes sur Armand Robin (6). Pour ceux qui ne le connaissent pas, mon conseil serait d’abord de le lire en allant fouiller les piles de livres chez de vrais bouquinistes. Les siens seront peut-être bien abimés mais qu’importe. Ma vie sans moi dans l’édition 1940 (7), Le temps qu’il fait, son unique roman (1942). Ils pourraient trouver des éditions Ubacs/La Part Commune, du cher Yves Landrein, disparu aujourd’hui, les textes qu’elle a réunis dans Écrits oubliés I et II (1986), Poésie sans passeport (1990), Le cycle du pays natal (2000, réédition en 2010 et je crois encore disponible), La Fausse Parole (éditions Le Temps qu’il fait, 1985) ou chez Gallimard, Fragments (1992).
Pourquoi cet oubli, donc ?
L’impossibilité d’un débat entre deux points de vue ? Celui de Françoise Morvan revendiquant d’analyser l’originalité de l’œuvre et de la démarche littéraires de Robin en dehors de toute tentative de récupération commerciale et d’une vision purement caricaturale ? Ou celui mis en place dès sa disparition par Alain Bourdon et allègrement repris ensuite par d’autres jusqu’à parfois des plagiats et des distorsions (8). La nouvelle version du volume « Ma vie sans moi » suivi de « Le monde d’une voix » est symptomatique de cette démarche car il ajoute, et ce n’est pas un hasard, un texte qui résonne aujourd’hui partout et que même un ami de Grenoble, totalement éloigné du présent débat, m’a envoyé en soulignant son actualité.
Ce texte s’intitule « Le programme en quelques siècles ». Vous le trouverez à la première page de votre navigateur (9). Un poème accusateur s’il en est d’Armand Robin contre la propagande, contre toute forme de mensonge et de fausse parole. Pour cette lecture de Robin, n’hésitez pas non plus à vous plonger dans les archives d’Unidivers avec Juan Asencio (10). À ouvrir pour vous forger une opinion contradictoire d’autres ouvrages comme celui de Jean Bescond (11). Je vous recommande surtout le dernier ouvrage de Françoise Morvan chez Garnier (12).
Cet oubli ne peut-il pas aussi être lié aux basculements politiques successifs (communiste, anarchiste, nationaliste, royaliste…) pendant et après la guerre de Robin ? Un mot de biographie. Elle nous rattrape toujours, que nous le voulions ou non, et même si Robin s’y refusait comme le souligne Françoise Morvan (elle en donne d’ailleurs une version guidée par sa production littéraire ce qui permet de mieux comprendre la genèse et les à-coups de son œuvre (13), il nous faut donc en parler.
Qu’il ait travaillé au ministère de l’information pendant la guerre à faire des écoutes et des notes à partir d’émissions de nuit sur des radios en langues étrangères, publié quelques textes à la NRF dirigée par Drieu La Rochelle, été mis sur la liste noire du Comité national des Écrivains ensuite (la main d’Aragon qu’il a toujours exécré et soupçonné là ?), tout cela est avéré. Si Guéhenno, son professeur en khâgne, lui a claqué la porte au nez pour ces raisons, ce n’est pas un hasard. S’il s’est fâché un long moment avec Jean Paulhan, non plus. Plus incertain : passait-il ses notes d’écoute à Combat, à L’Humanité ? A-t-il été un temps poursuivi par la Gestapo ? Lisez sur tout cela l’article de Jean Balcou par exemple (14). Robin n’aura pas été inquiété plus avant, me semble-t-il, malgré toutes les provocations qu’il n’a pas manqué de faire. Dessin de Mariano Otero (15).
Armand Robin est décédé voilà exactement 60 ans. Xavier Grall, Anjela Duval et Armand Robin auraient, je pense, beaucoup de choses à se dire. À commencer par leurs racines (16) : « les anciennes souches, nul n’a pu me les arracher », Armand Robin, « ma terre, je la colle à mes doigts obstinément », Xavier Grall, « tout le monde ne comprend pas la terre », Anjela Duval.
Notes
1. Citons pour Anjela Duval le très beau livre illustré (et bilingue) de Christelle Le Guen paru en 2018, « Anjela » (disponible via https://www.anjela.org/oberenn/ ou chez Coop-Breizh) et pour Xavier Grall, « Ici commence la musique du monde » de Pierre Tanguy (illustrations de Rachel La Prairie, éditions L’enfance des arbres), « Regards croisés Xavier Grall-Georges Perros » par Ronan Nédélec, « Le rire de Xavier Grall » de Gaëtan Lecoq (2021 et 2019, éditions La Part Commune), « Œuvre poétique », éditions Calligramme (2021)
2. Festival du livre de Bretagne 2021, Carhaix, et à venir un dimanche consacré à Xavier Grall, le 12 décembre, pension Gloanec à Pont-Aven
3. Œuvres I et Œuvres II, regroupant ses écrits, ont été publiés chez P.O.L en 2004 et 2005
4. Tout est accessible à partir de son site, https://francoisemorvan.com/, et relayé sur le site de remue.net
5. Anne-Marie Lilti, Armand Robin. Le poète indésirable, préface de Jean Bescond, Aden Ed., 2008
6. A les entendre parler, Grall/Guillevic/Guilloux/Perros/Robin/Segalen, éditions La Part Commune, 2011
7. La version disponible aujourd’hui chez Gallimard
8. https://francoisemorvan.com/recherche/edition/armand-robin/armand-robin-et-le-plagiat/
9 Une version intégrale est disponible à : https://blogs.mediapart.fr/melanie-talcott/blog/020615/poemes-indesirables-armand-robin
10. https://www.unidivers.fr/la-fausse-parole-darmand-robin/
11. Armand Robin, éditions Skol Vreiz, 1990, et site web : https://armandrobin.org/
12. La synthèse la plus récente, 2020
13. http://remue.net/Armand-Robin-reperes-chronologiques
14. Le débat entre Jean Paulhan et Armand Robin sur la poésie de la Résistance d’après leur correspondance inédite, Correspondance et poésie, dir. J-M Hovasse, Presses Universitaires de Rennes, 2011
15. Cf. référence 6
16. Les deux premières sont en exergue de mon livre L’intérieur des terres, illustrations Mariano Otero, La Part Commune