L’artiste nomade Jérémy Bézard raconte ses péripéties en dessin. Depuis son premier périple sud-américain à vélo-cargo en 2015, il développe une démarche artistique profondément humaine : il vend ses dessins au tarif local d’un litre de bière et d’une pizza, ou plus généralement d’un repas. Le dessinateur s’apprête à repartir en Amérique du Sud et a lancé une cagnotte, ouverte jusqu’à début mars 2025, afin de l’aider à préparer cette nouvelle aventure. L’itinéraire sera différent, la difficulté aussi, mais la démarche, elle, reste la même.
Beaucoup de voyageurs le diront : une fois qu’on a sauté le pas, il est difficile de rester en place. Malgré les efforts pour se sédentariser, le goût du voyage reste présent, et finit par l’emporter. Ce n’est pas l’artiste plasticien breton Jérémy Bézard, baroudeur dans l’âme, qui dira le contraire. En 2015, il s’envole en Amérique latine. Il ne sait alors pas parler espagnol, n’est pas sportif, mais il décide sur un coup de tête de faire un tour du monde. Il a d’abord pensé partir en voilier, « un rêve de gamin », puis parcourir le monde à moto, qu’il maîtrise bien, mais son compagnon de retour sera finalement un vélo-cargo dont il tombe amoureux, par hasard. Il choisit la force de ses mollets pour cette aventure qui ressemble, peut-être un peu dit-il lui-même, à une crise de la trentaine (on n’en parle pas, mais oui elle existe…). « À aucun moment, je ne me suis posé la question du poids. Je m’en suis rendu compte quand j’ai grimpé la première côte, en Bourgogne », avoue-t-il.
Quand il part, il n’a qu’une idée d’itinéraire en tête, rejoindre Ushuaïa, mais l’important n’est pas là : il a surtout prévu dans son paquetage du matériel artistique, car son truc à lui, depuis toujours, c’est le dessin. Il en a même fait son métier, notamment comme projecteur dans le domaine de l’architecture puis en tant que designer automobile et moto. Alors, quand il décide ce voyage initiatique et artistique, le dessin tient logiquement une place centrale : il ne sait pas encore comment, mais il souhaite vivre de son art et le rendre accessible à la population qu’il rencontre.
Pendant trois ans, il a cherché à raconter les reliefs et les habitants des différents pays d’Amérique du Sud, en commençant par le Pérou. Jérémy représente un endroit, une culture, les choses qui l’interpellent : des paysages, la faune et la flore, la population, etc. Il transmet graphiquement la vie qu’il côtoie. « Tu traduis des émotions, des anecdotes. » Mais ce n’est que quand son compte en banque arrivé à 0 en Argentine, après huit mois de voyage, que l’aventure commence réellement.« Tu as une petite suée, mais faut vite rebondir. Tu peux appeler tes proches pour qu’ils te prêtent de l’argent pour rentrer ou tu t’en tiens à ton idée initiale. J’ai choisi la deuxième option », raconte-t-il. Inspiré par des circassiens qu’il croise dans la rue, il décide de vendre ses dessins au tarif local d’un litre de bière et d’une pizza, soit l’équivalent d’un repas à 80 pesos (5€). « Le fait de mettre un indice alimentaire et populaire aide. Les gens comprennent la démarche. » Ses premiers dessins sont achetés par une vendeuse dans un magasin alors qu’il cherche des pochettes plastiques pour les protéger. Ce sont les seuls dessins dont il n’a d’ailleurs pas de trace.
Cette démarche accessible révèle une conception de l’art très humaine : Jérémy souhaite que les personnes puissent s’offrir une œuvre d’art même si ce prix ne reflète pas le temps qu’il passe sur chaque dessin, jusqu’à 10 heures parfois. « Ce n’est pas la bonne stratégie économique, mais humainement c’est ce que je préfère. » Pour faire comprendre sa démarche, l’artiste nomade a fabriqué des pochettes avec trois dessins originaux et, sur la pochette, un mot est écrit en espagnol, puis s’est lancé dans le table à table dans les bars. « Dès le premier soir, j’ai compris que j’avais trouvé le sésame pour voyager à peu près partout dans le monde, juste avec une feuille et un crayon. » Dans chaque pays, il s’indexe sur le prix local d’un plat traditionnel : au Brésil, c’était un burger. « Les Brésiliens sont d’une générosité incroyable. Ils te donnent à manger spontanément. Je dessinais toujours, mais je n’en avais pas vraiment besoin pour vivre. »
Ses mois de voyage ont été habités de rencontres authentiques et de péripéties : il a voyagé clandestinement pendant sept mois au Brésil, a trouvé dans le Chili son pays d’adoption, a du faire Chili-Brésil (soit 4500 km) en 45 jours maximum, etc. Après un retour en France de 2018 à 2020, il s’apprête à réitérer l’aventure en l’Asie du Sud-Est, en passant par la Nouvelle-Zélande, mais son tour du monde est cependant stoppé par le covid. Après huit mois en Polynésie française, il rentre et commence l’écriture d’un carnet de voyage, un projet sur le long cours qu’il espère terminer avant de repartir. « Pour mon bouquin, j’ai fais des recherches culturelles des lieux que j’ai visité. Ça m’a rappelé ce que j’avais vu, mais je me suis surtout rendu compte des endroits à côté desquels j’étais passé. » Cette petite frustration a finalement eu raison de lui puisqu’à l’aube de la quarantaine, il a en effet décidé de repartir. Encore en Amérique du Sud. « C’était plus qu’un voyage. Il y a une part de moi qui est ancrée là-bas et qui me manque. »
Contrairement à la première fois, il souhaite prendre le temps et moins se presser. « Il m’a fallu du temps pour le comprendre, mais courir après le temps, c’est une erreur », précise-t-il avant de dire amusé : « Ce n’est pas l’objectif qui compte, mais le chemin. C’est une phrase d’écrivain voyageur un peu pompeuse, mais qui résume tellement la vérité. » Il ne sait pas encore par quel moyen il rejoindra le continent, il aimerait privilégier le bateau-cargo plutôt que l’avion. Sa première destination sera en tout cas la Guyane française, continent où son premier voyage sud-américain avait pris fin. 20 000 kilomètres ont été parcourus entre 2015 et 2018, il envisage cette fois 35 000 kilomètres en quatre ans, peut-être plus… Il a prévu un itinéraire, notamment la Colombie et l’Équateur, pays qu’il n’a pas fait la première fois, mais il reste ouvert à ce qui se présentera à lui.
L’artiste, qui est aujourd’hui un auto-entrepreneur qui vend ses dessins sur les marchés de création, a lancé une cagnotte afin de l’aider financièrement. Il a notamment dû apporter des modifications à Papillon Orange, le nom de son vélo-cargo, pour qu’il soit plus performant. « C’est bien de partir avec un peu d’argent au début aussi, au cas ou, le temps de me remettre dans le bain, mais le système D ne me fait pas peur. » Jérémy invite aussi à le suivre sur ses réseaux sociaux afin de suivre les préparations et ses futures aventures, histoire de voyager avec lui, ne serait-ce qu’un peu.
Pour participer à la cagnotte Leetchi
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