Issu de l’allemand Arbeit, le mot arubaito en japonais signifie « petit boulot » (baito pour les intimes). On nomme ainsi les postes à temps partiel organisés par les magasins japonais selon des horaires très souples afin notamment de s’adapter aux horaires des étudiants, nombreux à travailler pendant leurs études. Mais si l’emploi du temps est souple, ce n’est pas le cas des exigences professionnelles… Les bonnes manières dans les magasins japonais, notamment hauts de gamme, sont souvent situées à la frontière de l’inconcevable pour des yeux d’Occidentaux. Et gare aux tentatives d’improvisation…
Dix heures du matin dans l’arrière-boutique d’un salon de thé huppé à Kyoto, le personnel s’aligne. Il est l’heure de répéter en chœur les complexes termes de politesse à utiliser auprès de la clientèle. Le magasin ouvre à onze heures. Tout, des manières du personnel à l’agencement des produits sur les étagères, devra être parfait dès l’arrivée du premier client.
Sourire sous contrat
Si la liste d’instructions distribuée au nouvel employé stipule expressément qu’il doit sourire en permanence, les subtilités du métier ne s’arrêtent pas là. La façon d’ouvrir la porte, le positionnement de la main durant le transport de la carafe, le degré d’inclinaison du dos lors du salut : à chaque infime mouvement correspond des instructions précises.
Vous devez toujours guetter si quelqu’un semble se diriger vers le magasin. Si quelqu’un vient, alors vous devez vous placer ici, au niveau du pylône. Vous souriez, et attendez que le client s’avance jusqu’à ce que son pied touche le tapis de l’entrée. À ce moment précis, vous bougez pour ouvrir la porte, revenez à votre place initiale et vous le regardez pour lui transmettre le sentiment de gratitude du magasin. Ensuite, vous pouvez dire « bienvenue », et ensuite seulement vous saluez. Non, pas comme ça, l’angle de votre dos n’est pas bon. Et surtout à ce moment-là, il ne faut pas regarder la personne dans les yeux. C’est impoli.
Enseigne la directrice du magasin, Mme Matsumoto, aux jeunes employés inexpérimentés durant une bonne dizaine de minutes. Passée cette première phase d’intronisation, c’est le responsable de la boutique qui se chargera de dispenser les précieuses instructions forgeant la réputation du magasin. C’est avec autant de bienveillance que de vigilance qu’il suivra attentivement des yeux le moindre geste du nouvel arrivant, n’hésitant pas à s’excuser platement devant les clients si d’aventure celui-ci devait déposer une fourchette de travers. Car après tout le monde peut faire des erreurs… mais il vaut mieux éviter. En complément, des professeurs spécialisés dans la conduite envers les clients, mandatés par les responsables du magasin, viennent parfois former les employés et les conseiller sur l’attitude à adopter en toutes circonstances.
Le blocage de l’initiative
Au Japon, les relations hiérarchiques sont organisées selon un système tout particulier. Si le responsable du magasin se trouve, bien entendu, en « haut » de l’échelle, une chaîne d’autorité plus ou moins officielle s’étend à travers les relations senpai/kohai. Les senpai sont les employés ayant le plus d’expérience au sein d’une entreprise ou organisation de toute sorte, le critère d’âge entrant cependant en compte également. Ils doivent enseigner au kohai, la personne moins expérimentée, les subtilités du travail et ont une certaine autorité sur lui. Chaque personne étant ainsi plus ou moins reliée hiérarchiquement à toutes les autres, la prise d’initiative se trouve très rapidement bloquée. Un employé aura en effet tendance à demander confirmation à son senpai pour toute action, lequel lui répondra qu’il n’a pas l’autorité nécessaire… En définitive, toute tâche qui n’a pas été précisément déterminée à l’avance par le manager se retrouvera bloquée jusqu’à nouvel ordre, ce qui rend toute notion d’initiative quasiment inexistante.
Non que ce dernier soit pourtant rétif à écouter les suggestions des employés… mais encore faudrait-il qu’ils osent les formuler. Pas si simple, dans une culture de la modestie omniprésente.
Ne rien faire, mais bien
Le principe selon lequel mieux vaut ne rien faire que de risquer de mal le faire est très présent dans le monde du travail japonais. Cela donne régulièrement lieu à des moments édifiants où les travailleurs ne font littéralement rien, mais avec beaucoup de talent.
Dix-neuf heures. La vague de clients de l’heure du thé est passée depuis longtemps, chaque produit a été soigneusement réaligné sur l’étagère, on a fait briller toutes les vitres jusqu’à l’éblouissement, la vaisselle est propre et rangée. Commence alors un ballet intéressant dans lequel chaque employé cherche désespérément à donner l’impression d’être en train de faire quelque chose alors que tout le monde sait pertinemment qu’il n’y a rien à faire. Ou, plus exactement, plus rien d’autorisé. Car il y a bien sûr toujours cette pile de boîtes dont tout le monde sait qu’elle devrait être rangée sur cette étagère… mais le manager ne l’a pas dit.
Alors on continue à aligner pour la millième fois les boîtes de thé sur les étagères, en tentant de se faire croire qu’elles étaient, effectivement, décalées d’un centième de millimètre.
Le site de l’ambassade de France au Japon, ici.
Le site de l’ambassade du Japon en France, ici.
Un site documenté sur le travail au Japon, ici.
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Le mot Arubaito「アルバイト」 vient de l’allemand « Arbeit » qui signifie travail. Comment est-il arrivé au Japon ? Et bien tout simplement sous l’ère Meiji (Le 9 novembre 1867 commença au Japon l’ère Meiji (lumière en japonais) d’après le nom que l’empereur Mutsuhito avait choisi pour qualifier son règne et se faire désigner après sa mort) : de nombreux professeurs étrangers (notamment allemands donc) vinrent enseigner au Japon. Ce mot fut utilisé comme jargon par les étudiants puis se vulgarisa et passa dans la langue courante. Toutefois, le sens de travail ne correspond pas à arubaito : il s’agit d’un job ou petit boulot et bien souvent à mi-temps ou temps partiel.