Vous connaissez les reporters, médecins, pharmaciens et autres organismes sans frontières. Moins connus, les Architectes sans Territoire, Aster, qui mettent leurs compétences au service de pays en voie de développement. Voilà 20 ans que cette association d’une vingtaine d’architectes basée en Bretagne œuvre en Afrique et en Asie. Son président lance un appel pour soutenir une (belle) initiative au Cambodge. Rencontre avec l’architecte rennais Georges Le Garzic :
Unidivers : Habituellement, les organismes de ce type interviennent dans l’urgence. Est-ce votre cas ?
Georges Le Garzic : Nous avons participé à plusieurs actions en faveur de réfugiés, notamment en Inde et en Iran, mais cela demeure une exception. Notre objet se situe davantage dans l’architecture de développement, que ce soit dans l’utilitaire ou le patrimonial.
U. : Il y a donc besoin de compétences variées, car la conception ne suffit pas…
Georges Le Garzic : Effectivement. Il est impératif d’unir les forces. Ainsi, sur le plan technique, nous nous appuyons sur l’expertise de Jean-Yves Riaux, maître-charpentier bien connu, qui a eu de grosses responsabilités aux niveaux local et national. Sur le plan culturel, nous nous efforçons d’être en relation avec un contact sérieux, si possible originaire du pays (pour éviter les problèmes que nous avons eus au Vietnam). Pour le Cambodge, nous avons un « ambassadeur » extraordinaire : Kim, restaurateur et conteur, qui a tenu longtemps le Mandarin à Rennes.
U. : Son pays a été victime d’un génocide atroce et d’une occupation qui l’a laissé exsangue. Quelle est la situation actuelle au Cambodge ?
Georges Le Garzic : Depuis le départ des Vietnamiens, il est sous perfusion. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Au niveau de l’habitat, on y observe un paradoxe : le bambou est omniprésent dans la nature, mais peu utilisé dans la construction, car considéré comme le matériau du pauvre.
U. : Question de durabilité sans doute aussi, car un insecte xylophage l’aime beaucoup !
Georges Le Garzic : C’est le point crucial. Cette plante extraordinaire dont il existe 1400 espèces dans le monde reste cantonnée aux échafaudages, aux passerelles et aux flotteurs. Le bambou exige un traitement pour obtenir une durabilité d’au moins 50 ans. Pour cela, nous avons mené des recherches partout dans le monde et avons découvert les expériences menées par l’architecte colombien Simon Velez, l’Américain John Hardy à Bali (la Green School) et un architecte d’Helsinki à Phnom Penh. Constatant qu’il était possible d’utiliser le bambou dans des réalisations pérennes (une école en Thaïlande, un pavillon à Taïwan, une église en Colombie et le magnifique bar d’Ho Chi Minh ville, Wind and water), nous avons lancé des expérimentations avec du bambou venu du Vietnam, dans l’atelier de Jean-Yves Riaux à Montgermont.
U. : Quel était votre objectif ?
Georges Le Garzic : Faire un centre d’expérimentation et de valorisation du bambou. En construisant un prototype. À prix doux, écologique et respectueux de l’environnement. Qui pourrait s’appliquer en écoles, équipements publics ou maisons d’hôtes.
U. : Comment avez-vous procédé pour sa mise en œuvre ?
Georges Le Garzic : Nous avons trouvé une perle : Justine Duval, tout juste diplômée de l’école d’architecture de Rennes. Décidée à partir 6 mois au Cambodge elle s’est rapprochée de l’École Royale d’Architecture de Phnom Penh et y a lancé des ateliers (ou workshops comme on dit maintenant !) pour promouvoir le bambou. Puis on a eu la chance de disposer d’un terrain à TaKhmao, banlieue résidentielle. Après avoir rasé la bâtisse existante, elle a coordonné le début du chantier. Puis une deuxième équipe de choc est arrivée : une jeune architecte Mathilde et son compagnon charpentier Thomas. Ces jeunes sont très dégourdis. Ils financent souvent leur séjour avec une plate-forme de crowdfunding (ou financement participatif).
U. : Et maintenant, où en êtes-vous ?
Georges Le Garzic : La construction se poursuit, avec Young, Sok et Ry : trois Cambodgiens qui forment le socle des artisans. La structure poteaux-poutres est ancrée sur une dalle de béton, la couverture et ses grands débords mettent l’ensemble à l’abri de la pluie et du soleil. Il reste à faire l’escalier, les murs, les cloisons, l’électricité, la plomberie… et un site internet !
U. : Car il faut trouver des sous !
Georges Le Garzic : Eh oui ! La Région Bretagne nous a aidés ainsi que des organismes comme le CDF, mais notre financement repose essentiellement sur nos propres fonds et le soutien d’une famille cambodgienne. Il nous reste à trouver les 2/3 du budget, soit 25 000 €. Nous allons bientôt lancer un appel à financement participatif via ULULE.
U. : Ça s’annonce bien ! Après les Khmers rouges… les Khmers roses ?
Georges Le Garzic : Ce n’est pas toujours de cette couleur ! Demandez donc à Kim les tracasseries administratives qu’il a dû affronter pour importer les seize bidons de produits de traitement insecticide !
U. : Et vous, qu’est-ce qui vous motive ?
Georges Le Garzic : Je reprendrai l’expression de Jean-Yves Riaux : « l’important, c’est la transmission de la flamme et non pas la conservation des cendres ».
ASTER – Georges Le Garzic – Solidarité Rennes Cambodge