Preuve de l’engouement suscité par l’art urbain : la multiplication ces dernières années des publications et expositions sur le street art et le graffiti. En 2008, la Tate Modern de Londres présentait une exposition sobrement intitulée « Street Art ». Un de ses organisateurs et commissaires, Rafael Schacter, n’est autre que l’auteur du présent ouvrage : L’Atlas du street art et du graffiti qu’il qualifie comme étant « le plus approfondi et le plus complet sur cette forme d’art contemporain ». Promesse tenue ?
Le souvenir de sorties nocturnes en 1968, rapporté par l’artiste américain John Fekner dans sa préface, souligne la naïveté avec laquelle cette génération peignait quelques mots en lettres blanches sur les murs, sans se douter que cela soit un jour érigé au rang d’œuvre d’art. Cette anecdote de jeunesse, outre le fait d’ouvrir le livre avec pertinence, esquisse les traits caractéristiques du street art et du graffiti. L’illégalité allant de pair avec l’excitation, mais aussi l’appropriation d’un territoire et la transformation de l’espace public en terrain de jeu.
Dans son introduction, Rafael Schacter rappelle à juste titre que « cette pratique [est] aussi ancienne que la culture humaine. Écrire et/ou dessiner sur des murs ou des parois sont des actes aussi élémentaires qu’universels, liés au désir primal de l’être humain de modeler ou de décorer son environnement matériel. »
L’Atlas du street art et du graffiti est d’abord une délectation visuelle. Son format pratique, l’équilibre textes-illustrations et les légendes rendent la lecture agréable et facile. Les photographies de qualité permettent d’apprécier les œuvres dans leur environnement, pas toujours facilement accessible, sous des angles originaux. Un souci de vulgarisation et de pédagogie également à mentionner avec la traduction des termes anglo-saxons, l’explication du vocabulaire inhérent à l’art urbain et un glossaire auquel se rapporter.
Avec la présentation de 113 artistes de 25 pays différents, l’ouvrage révèle l’envergure mondiale de l’art urbain. Une sélection judicieuse de la part de l’auteur d’artistes aux influences diverses et aux univers très personnels qui ne laissent pas indifférents. Des murs des grandes métropoles aux espaces plus reculés, ces artistes déploient un large éventail de pratiques : mosaïque, performance, installation…. Des œuvres qui, par leurs messages et leurs colorations, témoignent du contexte politique, économique, historique, social et culturel du pays et de l’environnement dans lesquels elles prennent place.
Les portraits des villes sont brossés par des spécialistes. La présentation synthétique et précise des artistes offre des points de repère – références biographiques, techniques utilisées, styles, thèmes et influences – et suscite la curiosité. Ce tour du monde de l’art urbain débute par son berceau de naissance : la côte Est des États-Unis. À la fin des années 60, les rues new-yorkaises voient se multiplier les noms ou pseudonymes avec un numéro (numéro de rue) : « TAKI 183 », « Stay High 149 » « Phase 2 »… Les rames de métro deviennent elles aussi rapidement le support où apposer son blaze (nom). 12 cartes créées par les artistes sont également présentées. Celle de MOMO, artiste de San Francisco, rappelle son exploit. Celui d’avoir réalisé le plus grand tag du monde : une coulée de peinture de 13 kilomètres de long dans les rues de Manhattan. Jouant du rapport d’échelle entre celui de la ville et celui de la carte, MOMO a reproduit le parcours effectué : le tracé reproduisant ainsi son nom.
Jurne avec son travail sur « l’écriture dans l’écriture » signe quant à lui la carte de San Francisco. KR (Krink, Craig Costello) est aussi à l’honneur. Utilisant sa marque de peinture maison (Krink : KR+ink), devenue un produit utilisé dans le monde entier, KR exploite les coulures et les gouttes de peinture faisant de ses œuvres des cascades de peinture où la couleur semble ruisseler. Los Angeles n’est pas en reste avec le travail de Shepard Fairey, auteur de la désormais célèbre affiche HOPE réalisée durant la campagne de Barack Obama en 2008. Shepard Fairey exploite les rouages de la communication politique en reprenant dans ses autocollants la figure d’André the Giant et le slogan OBEY.
Suivent ensuite les villes d’Amérique latine (Mexico, São Paulo, Buenos Aires) qui n’ont rien à envier à leurs voisines nord-américaines. L’art urbain y est marqué par les traditions locales à l’image du pixação (signifiant « écriture en goudron ») apparaissant dans les années 1950 à São Paulo et donnant naissance à une forme locale de graffiti. À São Paulo comme à Buenos Aires, l’art urbain va être un moyen de contestation sociale et politique durant la dictature militaire que vont connaître les deux villes. D’autres artistes vont, au contraire, essayer de se défaire de ces traditions. C’est le cas du travail de Dhear, originaire de Mexico. Ses paysages surréalistes peuplés de créatures imaginaires et fantastiques sont inspirés des bandes dessinées, films de science-fiction et dessins animés japonais.
Une section est consacrée aux métropoles européennes. Londres en tête avec le travail de Banksy mêlant à la fois humour et critiques acerbes. L’art urbain parisien est représenté avec le français Invader et ses personnages pixélisés empruntés au jeu d’arcade Space Invaders. Son œuvre a désormais conquis des sphères lointaines puisque grâce à la complicité de l’astronaute Samatha Cristoforetti, une de ses mosaïques a été installée à bord de la Station spatiale internationale. Le voyage n’aurait pu être complet sans évoquer Berlin et l’ « hacktivism » d’Aram Bartholl conjuguant art numérique et art public. Pour son projet Dead Drops, l’artiste a cimenté des clés USB dans les murs de la ville invitant le public à y déposer des données en se connectant avec un ordinateur.
À propos de l’Europe méridionale, Rafael Schacter décrit une esthétique plus « vivante et graphique ». Madrid voit émerger une contre-culture dans les années 80 amenant à un développement de l’art clandestin. SpY (Jacobo) appartient au collectif (crew) Los Reyes del Mambo. Son travail sur le détournement du mobilier urbain, notamment les équipements sportifs, invite à expérimenter la ville d’une autre manière. Plus à l’ouest, l’artiste portugais Vhils (Alexandre Farto) tire profit des différentes strates des murs afin de réaliser des portraits à partir de la soustraction de matière.
La dernière section, plus imprécise, est consacrée au reste du monde. Elle montre que les territoires conquis par le street art et le graffiti sont nombreux : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine, le Japon…
L’Atlas du street art et du graffiti constitue une introduction très complète à l’art urbain qui séduira passionnés et curieux. Une forme artistique qui suscite les passions et qui continue d’alimenter les débats. L’art urbain gagne du terrain dans les rues pour le plus grand plaisir des flâneurs, alors levons les yeux….
Atlas du street art et du graffiti Rafael Schacter, éditions Flammarion, 400 pages, 300 illustrations, 2 septembre 2017, 39,90€
Auteurs : Rafael Schacter, John Fekner, Zosen Bandido, Jacob Kimvall, Ian Lynam, Lachlan MacDowall, Caleb Neelon, Rod Palmer, Elli Paxinou, Je Spurloser, Luciano Spinelli, Margarita Skeeta et Donald Blarney.