Une femme colon, un soldat français pour dire l’horreur des débuts de la colonisation algérienne. La plume incandescente de Mathieu Belezi dit sans détour les feux de l’enfer dans Attaquer la terre et le soleil aux éditions Le Tripode. Prix du Monde 2022 et Prix Inter 2023.
C’est comme le soc de la charrue qui fend la terre en deux, cette terre qui n’a jamais été ouverte aux graines et aux semences, cette terre ingrate d’Algérie que viennent travailler des colons de France encouragés par leur gouvernement dans les années 1840.
À droite du sillon, ces colons venus sur la frégate Le Labrador d’Aubervilliers, de Marseille ou d’ailleurs: « Vous êtes la force, l’intelligence, le sang neuf et bouillonnant dont la France a besoin sur ces terres de barbarie ».
À gauche, derrière le soc, des soldats venus « pacifier » les barbares, apporter la civilisation au bout de leurs fusils, de leur violence: « C’est vrai qu’on n’est pas des anges mais a-t-on besoin d’anges pour pacifier ces terres de barbarie ? ».
L’écriture de Mathieu Belezi est comme cette charrue, elle divise l’histoire en deux. Celle de Séraphine, femme colon qui arrive avec sa famille, son mari, ses enfants. « Rude besogne » s’appelle le témoignage. Et puis celle d’un soldat « ordinaire », non gradé, qui apporte sa violence comme un bienfait civilisateur. « Bain de sang » s’intitule son témoignage.
Des deux narrateurs, on ne sait rien de leur passé, de leurs histoires qui les amènent sur le sol algérien. Ils sont là, neufs, sur un territoire neuf comme à la Genèse du monde quand le monde animal va se soumettre peu à peu à l’intelligence et au savoir-faire de l’Homme. Créer le monde, cela n’est pas simple. Pour les colons, il faut affronter le sursaut de la nature et de ses épidémies comme le choléra, il faut se protéger de ces inconnus qui massacrent femmes et hommes quand ils s’éloignent des camps de toile. Pour les soldats il faut tuer et tuer encore pour prendre possession des villages, accaparer les provisions, violer les femmes et trancher les têtes des rebelles.
Le récit est lourd, grave, il nous emmène dans l’effroi, l’horreur comme une caméra subjective portée par les soldats. Nous sommes au XIXe siècle, mais nous avons le sentiment pareillement de rentrer dans les rues d’Oradour-sur-Glane, de fracasser les portes de la Casbah d’Alger un siècle plus tard. Peu de points, de virgules, de ponctuations, comme pour rendre plus fluide la parole et rendre encore moins exceptionnelle cette violence banale qui ne mérite pas de majuscules, de grandiloquence ou d’effets de style.
Belezi ne donne pas la parole aux Algériens, il insiste surtout sur ces soldats et colons qui sont aussi à leur manière victimes de leurs actes, de leurs préjugés. Seuls dans leurs souffrances, Séraphine et le soldat anonyme ne se rencontreront pas, chacun restera cloîtré dans sa condition de civilisateur amené là presque à leur insu, pour satisfaire les besoins de puissance d’une nation. Pions sur un échiquier, on les déplace à leur insu, les faisant porteurs d’une félicité et d’un bonheur impossibles. « Ils voyaient loin, ils voyaient grand » leur fait-on croire.
Attaquer la terre et le soleil est le quatrième roman « algérien » de Mathieu Belezi qui continue comme Henri, le mari de Séraphine à creuser le sillon de l’Algérie, à chercher dans cette terre caillouteuse l’histoire d’une tragédie historique appelée colonisation.
Les éditions du Tripode révèlent que « reçu le 13 mars, le bref roman de Mathieu Belezi nous a très vite renversés. Le 15 mars, c’était décidé : nous le publierons pour cette rentrée ». Un empressement justifié qui fait le bonheur des lecteurs.