Illustration à Rennes. Aurore Chapon, dessiner, résister, militer

yoga shalala auore chapon

Après ReSisters (2021), retrouvez le coup de crayon de la Rennaise Aurore Chapon dans la BD Yoga Shalala, co-réalisée une nouvelle fois avec Jeanne Burgart Goutal, enseignante en philosophie. Publiée aux éditions Tana, l’histoire plonge le lectorat dans l’univers du yoga, entre expérience personnelle et questionnements universels. Dessinatrice sensible, Aurore Chapon offre une porte d’entrée dans des sujets qui lui tiennent à cœur par le biais de ses dessins colorés à la touche singulière.

« Tout le monde savait que je serais dans le milieu artistique, parce que c’est ce que je fais depuis toujours. » Aurore Chapon et le dessin, Aurore Chapon et la bande dessinée, c’était une histoire écrite. « Tu me mettais des crayons dans les mains, tu avais la paix pendant des heures », s’amuse-t-elle en repensant à un souvenir marquant de son enfance : chez sa nourrice, elle se revoit âgée de 5 ans en train de dessiner pendant toute un après-midi un magnifique coq vu dans un livre sur les animaux. Adolescente, elle s’imaginait déjà travailler dans la bande dessinée autour d’une discussion entre amies à propos du métier rêvé…

« J’aime bien écrire, j’aime bien dessiner, la BD rassemble les deux. »

Aurore Chapon
Aurore chapon
Aurore Chapon

Si l’on regarde la colonne “Formations” du CV d’Aurore Chapon, elle trace une ligne directe en direction du milieu du graphisme – BTS à Rennes, une année à l’École des Beaux-Arts d’Angers et une licence pro en graphisme à l’université Rennes 2. Jusqu’au jour où elle acquiert une tablette graphique, « la révélation »… « Ce qui m’intéresse maintenant, c’est le dialogue entre les deux. Je me sers des outils que j’ai appris à maîtriser en graphisme – la typo, la couleur, le motif, la texture – pour mes dessins. L’outil m’a permis de faire tout ce que j’avais dans la tête depuis longtemps, mais que je n’arrivais pas avec d’autres logiciels, parfois plus compliqués », explique-t-elle. Grâce à ce petit trésor de technologies, l’illustratrice s’est épanouie dans un style singulier où la couleur rencontre une variété de textures et de motifs. Dans la poésie de son trait à la palette colorimétrique riche, on retrouve celle de sa signature, Aurora. « Je ne pense pas qu’il faille essayer de créer un style », précise-t-elle. « Ce n’est que ma définition, mais pour moi, il faut dessiner jusqu’à ce qu’on remarque les spécificités et les tics de notre trait. J’imagine que leur accumulation crée le style. » Son envie de nouveauté la pousse néanmoins à ajouter régulièrement des éléments qui viennent moduler son dessin, comme des petits pas de côté qui permettent une nouvelle énergie esthétique dans le résultat. « Dans ma tête, les techniques sont vivantes, elles se renouvellent de la même manière qu’un corps renouvelle ses cellules », image-t-elle avec poésie.

En termes d’inspiration et de références, son regard est interpellé par des compositions, textures et couleurs inattendues, à l’image de ses propres créations. Elle recherche « une vision personnelle qui propose une bifurcation dans l’histoire. » Aurore cite des artistes qui viennent autant de l’art contemporain que de l’illustration, de la BD, des travaux d’aiguille, de la poésie, de la littérature ou du cinéma : Hayao Miyazaki, Delphine Dénéréaz, Louis Lanne, Mahé Rose Cabel, Jérémie Moreau, Marie Spénale, Erwan Roussel, Gabriel Mafféïs, Pattie O’Greene, Renée Vivien, Astrid Lindgren.

Aurore chapon

C’est avec ce style et la bande dessinée ReSisters qu’Aurore se fait connaître du grand public, en 2021. Réalisée en collaboration avec Jeanne Burgart Goutal, l’ouvrage est né après une rencontre animée par la professeure de philosophie autour de « l’écologie et le féminisme, même combat », et à laquelle la dessinatrice a assisté. « Je traînais dans ces milieux depuis un moment déjà, mais je n’avais jamais vu proposer une analyse transversale qui articulerait les deux sujets », raconte-elle. « J’ai eu l’impression qu’elle apportait une pièce essentielle au puzzle, et que je n’avais pas. » Il a également vu le jour grâce un brin d’audace de la part d’Aurore : les pistes de réflexion et les hypothèses intéressantes qu’elle découvre résonnent en elle, elle contacte Jeanne et lui propose de collaborer. « C’était 4 ou 5 ans après les Culottées [de Pénélope Bagieu, ndlr.], qui a marqué un tournant dans ce qui pouvait être fait en bd grand public. »

Dans la lignée de ReSisters, le binôme remet rapidement le pied à l’étrier et publie Yoga Shalala en mars 2024, toujours aux éditions Tana. Il plonge cette fois dans l’univers du yoga, dans un mélange d’expérience personnelle – celle de Jeanne – et de questionnements universels. « Jeanne s’intéresse aux frictions, aux frottements entre les différents textes sur un même sujet », nous apprend l’illustratrice. « Elle a voulu montrer ce que la pratique raconte au niveau des enjeux politiques impliqués : le yoga est-il féministe ou non ? Si oui, comment ? Idem avec l’écologie. » Cette nouvelle bande dessinée observe les discours pluriels et les dérives. Elle continue : « De mon côté, ça m’a permis d’aller chatouiller la notion du féminin sacré, le jumeau maléfique de l’écoféminisme selon moi. Il se réapproprie des concepts étudiés par l’écoféminisme, mais en lui donnant une dimension très essentialiste donc anti écoféminisme, selon moi. »

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L’histoire commence par la pratique du yoga par des trentenaires “branchouilles” dans un studio parisien et finit en Ardèche avec les hippies, en passant par un voyage en Inde. Yoga Shalala aborde la complexité et la diversité de la pratique selon l’enseignement. « J’ai été à quelques séances de yoga pour le sentir dans mon corps et voir ce que la pratique peut faire. » Aurore a plongé visuellement dans la pratique, à l’aide d’une documentation riche, en laissant tout de même jaillir ce que le sujet l’inspirait. « La difficulté était de savoir quelle imagerie utiliser. La pratique a été importée et exportée d’Inde au moment de la colonisation par l’Empire britannique. » Pour cette raison, elle a pris de grandes précautions sur la provenance des images.

Dans la densité des illustrations, le foisonnement de textes qui habillent les pages et le traitement du sujet, on retrouve par certains aspects la même dynamique que les bandes dessinées de la Suédoise Liv Strömquist.

Le revenu d’artiste d’Aurore est composé de différentes activités : le graphisme, la bande dessinée, mais aussi sa pratique personnelle. Elle imprime ses dessins en risographie, un procédé semi-artisanal entre l’impression numérique et la sérigraphie, qu’elle vend sur des marchés. En dernière activité, l’artiste pratique également le travail à l’aiguille.

Les projets d’Aurore, quels qu’ils soient, reflètent son engagement et son besoin de traiter de sujets sociétaux dans son art. « C’est ce qui est au fondement de mon travail. Je n’arrive pas à le dé-corréler de ces sujets et je ne vois pas comment on peut ne pas en parler. » Instinctivement, ses coups de crayon cherchent à rendre visibles les causes qui lui tiennent à cœur comme l’écologie, le féminisme, les droits humains, etc. Sa pratique artistique devient un moyen de militer à l’endroit où elle se sent à l’aise, comme d’autres privilégient des actions plus activistes et performatives. Pour elle, « la pluralité des stratégies fera que, peut-être, les choses avanceront. Je suis persuadée de l’impact d’une action activiste ou artistique. La première fait souvent appel à un geste artistique, les deux travaillent ensemble. Des artistes travaillent avec des militants et militantes pour leur donner des idées de manière à ce que l’action raconte une histoire singulière qui interpelle et qui, par sa poésie, touche les gens à un nouvel endroit. »

« La fiction – les histoires, l’art, etc. – a pour moi un rôle clé. Elle permet de toucher, de fédérer à des endroits plus intimes. »

Aurore Chapon

Suivez l’actualité d’Aurore Chapon sur son compte Instagram et découvrez sa pratique sur sa boutique en ligne Etsy.

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