Les Aventures de Mai : initialement publié en 1998 aux éditions Grasset et dans le journal Le Monde sous la forme de 24 épisodes, cet écrit du romancier et satiriste Patrick Rambaud a été réédité en avril 2018 à l’occasion du cinquantenaire des événements de mai 1968.
En prenant la forme d’un documentaire historique dont chaque court chapitre relate les aventures et mésaventures des acteurs de ce tumultueux printemps, jour après jour à compter du samedi 4 mai 1968 jusqu’au jeudi 30 du même mois, Patrick Rambaud nous embarque sur un ton humoristique et sans réel parti pris politique dans une analyse détaillée des événements de cette fameuse période. Centrée autour d’un groupe d’étudiants aux identités imaginées et dont les figures principales sont incarnées par Roland Portallier et son ami Corbière, tous deux inscrits à la faculté de Nanterre et issus de milieux aisés, la narration des faits nous fait redécouvrir avec plaisir les acteurs majeurs des différents camps concernés par ce conflit social.
Le paysage politique, syndical, estudiantin et social de ladite époque est effectivement riche et bigarré ! On y croise le sympathique Henri Krasucki en secrétaire général de la CGT « nez au bec de toucan, crâne désolé et un air triste pour l’éternité », l’impétueux Jacques Chirac, secrétaire d’État à l’Emploi, fidèle du premier ministre Pompidou « Walter, alias Chirac s’enfourna dans une peugeot noire banalisée, il avait un revolver en poche, car ce rendez-vous ne lui disait rien de bon, la porte du troisième était entrouverte, il y avait une chaise libre, il s’y assit. Krasucki avait gardé sa casquette : nous avons des revendications définies, dit-il », le radical Alain Madelin à la tête du mouvement d’extrême-droite anti-communiste nommé Occident « Ce fatal vendredi, les guerriers d’Occident avaient défilé pour en découdre… le jeune Alain Madelin en tête… ils allaient écraser la vermine bolchévique », le perturbateur Daniel Cohn-Bendit « J’ai été expulsé pour avoir troublé l’ordre public mais en appelant les flics à la Sorbonne et au quartier latin, le recteur et le ministre de l’Intérieur ont plus gravement troublé l’ordre public. Je propose qu’on les expulse ! », L’autoritaire général De Gaulle « Joxe, lui dit le général, que signifie cette pagaille ? Si ces jeunes gens sont excités, qu’on leur distribue du bromure ».
D’autres personnages imaginés mais représentatifs de la société de cette époque sont également hauts en couleur. On rencontrera entre autre le malheureux policier Misson se réconfortant devant Télé soir présenté par Léon Zitrone après s’être péniblement opposé aux affronts quotidiens des étudiants. Madame Jurieu aussi, femme de député évoluant dans un milieu bourgeois qui aura à la fois un penchant pour la boisson et pour le jeune révolté Portallier. Patrick Rambaud illustre bien entendu le fossé entre classe dominante et prolétariat en évoquant par exemple les réactions de la mère de Roland Portallier, épouse d’un chirurgien, face aux pénuries de vivres dans les magasins « huile, sucre, pâtes disait la bonne en rangeant dans le placard… Nous détestons les petits pois en conserves ! répliqua Madame Portallier. On sonne à la porte. Eh bien allez voir, Amalia ! dit Madame Portallier, effondrée sur une chaise devant les paquets de coquillettes et les cartons de sucre ».
Le milieu ouvrier associé à la contestation étudiante avait aussi à cette époque ses revendications : « À Billancourt, la détermination des ouvriers ne flanchait pas, leurs désirs étaient clairement affichés sur un panneau place Jules Guesde : nos revendications au départ : 40 heures de travail hebdomadaire, 1000 francs de salaire minimum, la retraite à 60 ans, la 5e semaine de congés payés pour les jeunes travailleurs, liberté syndicale ».
La contestation d’il y a 50 ans se base sur divers éléments, allant de la rébellion contre la chape de plomb maintenue par la trop longue et conservative présidence de De Gaulle, le puritanisme, l’ordre moral ainsi que l’utopie hippie importée des USA avec sa nouvelle culture spirituelle, musicale et anti patriarcale. Le soutien aux opposants à la guerre du Vietnam également, ainsi que l’adhésion à l’idéologie communiste, qui a cette époque, contrairement à celle d’aujourd’hui était bel et bien vivante en Chine et en URSS notamment.
Dans le dernier chapitre, Roland Portallier lit à Madame Jurieu un passage du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, livre écrit par Raoul Vaneigem : « Le système des échanges commerciaux finit par gouverner les relations quotidiennes de l’homme avec lui-même et avec ses semblables. Sur l’ensemble de la vie publique et privée, le quantitatif règne… « Vous me traduisez Roland ? » demande Madame Jurieu. Portallier répond : « La politique se soumet à l’économie, or, pour nous, la vie prime sur l’économie. Nous choisissons la qualité contre la quantité ». Toujours d’actualité et même point de départ des mouvements de mai 2018 : la qualité de vie des uns par rapport à celles des autres.
Les aventures de Mai de Patrick Rambaud, Éditions Grasset. Parution :11/04/2018, 216 pages, 18.00 €.
Parution : 27/05/1998, 216 pages, 17.90 €