Azadi de Saïdeh Pakravan, un rêve brisé dans les rues de Téhéran

En persan « Azadi » veut dire Liberté et c’est aussi le nom de la place de Téhéran où trône cette imposante tour de marbre blanc rebaptisée du même nom après la Révolution de 1979. C’est de cette place que partent les manifestants au régime islamique à l’issue des élections truquées confortant Ahmadinejad au pouvoir en 2009.

 

AzadiRaha, jeune fille de famille aisée, étudiante en architecture fait partie de cette jeunesse pleine de fougue qui espérait une vie meilleure avec plus de droits et d’avenir. Habitués aux interdits, méconnaissant l’histoire récente du pays, ils découvrent l’action politique et gardent l’espoir d’un changement possible. Secourue une première fois par Hossein, un gardien de la Révolution issu d’une famille pauvre et très religieuse des quartiers défavorisés du sud de Téhéran, Raha continue toutefois son action auprès de Kian, son fiancé et de ses amis étudiants.

Arrêtée et emprisonnée en juillet 2009, la jeune fille est soumise à la barbarie de ses gardes. Dans ce pays plein de contradictions, la liste des interdits est longue surtout pour les femmes. Il n’est pas rare d’être arrêtée par la police du code vestimentaire ou par la police des mœurs lorsque la tenue d’une fille est jugée indécente. La loi prévoit que les filles dévergondées, rebelles, manipulées par les pays étrangers doivent être « déviergées » pour ne pas accéder au paradis.

Avant mon arrestation, j’étais une femme de vingt-deux ans devant bientôt terminer ses études, se marier. J’aimais la vie, mes amis, Kian. J’avais aussi découvert l’action politique et l’espoir que le régime deviendrait raisonnable et l’Iran un pays civilisé.

Le traumatisme est grand pour Raha et sa famille, même après sa libération inespérée grâce à l’intervention d’Hossein, devenu son ange gardien. La seule thérapie est alors d’oser affronter ses agresseurs et de porter plainte.

Nous parlons de gardiens dans une prison de la République islamique. Déjà, les femmes ne sont rien ici, alors une femme qui voudrait accuser des officiels du gouvernement, oubliez.

Pourtant, Raha, courageuse et obstinée, veut encore croire en son pays. Elle veut croire que le quatrième mur de sa prison peut encore tomber. Car les choses ont changé en trente ans et Gita, une Iranienne partie aux États-Unis avec ses parents lorsqu’elle avait huit ans, s’en rend mieux compte aujourd’hui lors de son séjour dans la famille de Raha. L’Iran est certes « un monde irrationnel, un monde aux contours incertains », mais il y règne sous la beauté des lieux « un sentiment d’éternité, de poésie, de spiritualité ». Si aux débuts de la Révolution islamique, on obligeait les enfants à dénoncer les pratiques de leur famille, il existe bien en 2009 un comité chargé d’enquêter sur les abus des Droits de l’Homme.

Ce n’est pas pour rien que l’Iran est le pays des contes des Mille et une nuits ou des histoires épiques du Chahnameh ou Livre des rois. Les mythes et les légendes ont toujours fait partie de la psyché collective, de même qu’à présent les histoires d’horreur prises pour argent comptant. Je me rends compte que pour beaucoup d’Iraniens, vivre à l’étranger place sur eux, malgré les difficultés, un certain fardeau de culpabilité. De sorte que se battre pour la démocratie et la liberté ne serait-ce qu’en se retrouvant dans les espaces publics des villes où ils résident avec une poignée de gens partageant leur façon de penser leur donne un sens de participation, de soutien, de contribution personnelle à la vie du pays qu’ils continuent à aimer plus que tout autre au monde.

Avec l’histoire personnelle de Raha, symbole de la répression violente suite à une « révolution de velours » menée principalement par la jeunesse étudiante, Saïdeh Pakravan montre aussi toute l’ambiguïté du pays grâce à la diversité de ses personnages. Raha et ses amis constituent la jeunesse d’un pays enthousiaste, ses parents connaissent l’histoire du pays et ont gardé une façon de vivre sans observer les interdits, Gita et l’oncle Djamchid ont cette expérience d’une vie aux États-Unis, Pari, la tante de Kian appartient à cette classe riche proche du gouvernement et Hossein représente avec son frère mutilé lors de la guerre en Irak, le mouvement islamique.

Il n’y a toutefois aucun manichéisme et la richesse des expériences donne une vision éclairée de la société iranienne. Si le récit est parfois inégal et manque de souffle, le témoignage est capital et le courage et la volonté de Raha donnent une lueur d’espoir portée par cette jeunesse enthousiaste.

Saïdeh Pakravan, écrivaine franco-américaine de fiction et poète, est née en Iran. Ayant grandi dans un milieu francophone, elle s’installe à Paris, participant, après la révolution iranienne de 1979, à un mouvement de libération de l’Iran. Publiée dans de nombreuses revues littéraires et anthologies, lauréate de prix littéraires dont le prix Fitzgerald, Saïdeh Pakravan est également essayiste et critique de film. Avec Azadi, son premier roman elle a obtenu le Prix de la Closerie des Lilas 2015 et Le Prix Marie Claire du roman féminin 2015

Saïdeh Pakravan, Azadi, Belfond,  2015, 448 p., 19 €

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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