Depuis ses débuts en 2004, Balthazar s’est imposé comme l’un des groupes les plus importants de la sphère musicale alternative en Europe. La formation, menée par Maarten Devoldere et Jinte Deprez poursuit actuellement une tournée débutée après la sortie de l’album “Fever”, dévoilé le 25 janvier 2019. C’est dans ce même contexte que les artistes belges se produiront en concert le 23 janvier au Carré Sévigné. En attendant l’événement, nous revenons sur leur parcours et nous nous penchons sur cette oeuvre singulière, dont la conception a marqué une nouvelle étape dans la carrière du quintette.
Dans le domaine musical, les années 2010 auront été riches en surprises et en mutations. Outre l’essor considérable du rap et des styles dits urbains, cette dernière décennie a vu l’émergence et le développement de groupes talentueux, issus des scènes pop et rock alternatives du monde entier. Parmi eux figure Balthazar, une formation emmenée par Maarten Devoldere et Jinte Deprez qui est aujourd’hui l’une des figures de proue de la scène belge contemporaine.
Ses deux têtes pensantes, originaires de Flandre, ont grandi au son de leurs aînés du groupe dEUS et se sont rencontrées à Courtrai pendant leurs années lycée, autour d’une situation et une passion musicale commune. C’est en effet dans les rues de la ville qu’ils faisaient résonner leurs voix et leurs guitares, avec comme répertoires plusieurs reprises et trois chansons originales chacun. Maarten est alors épaulé par Patricia Vanneste, violoniste qui devient au fil du temps une amie commune. Les trois musiciens choisissent alors d’allier leurs forces créatives au sein d’un groupe, qu’ils fondent finalement en 2004. C’est sur un curieux malentendu que peu après, ils le baptisent Balthazar : ce nom, que leurs premiers spectateurs leur avait attribué, correspond en réalité à la signature laissée par le mystérieux auteur d’un énorme graffiti, qui recouvrait le trottoir sur lequel ils jouaient. Par la suite, le trio prend de l’ampleur et devient quintette, après l’arrivée du bassiste Simon Casier et du batteur Christophe Claeys.
Leur premier album, intitulé Applause, sort en mars 2010 et les révèle sur la scène musicale belge. Dévoilé l’année suivante aux autres pays européens, ce premier opus leur donne également l’opportunité de donner des concerts dans plusieurs grandes salles d’Europe, notamment à L’Ancienne Belgique de Bruxelles et à La Cigale de Paris. Mais c’est avec Rats, paru en octobre 2012, que Balthazar rencontrent un franc succès auprès d’un plus large public. Les musiciens prennent alors la route pour une tournée de 2 ans, au cours de laquelle ils assurent les premières parties de la tournée européenne d’Editors. Suite à son troisième album, intitulé “Thin Walls” (2015), la formation entame une nouvelle série de concerts jusqu’en 2016. Puis au bout de ces 60 jours de prestations sans relâche, elle marque une pause qui permet à Maarten Devoldere et Jinte Deprez de se lancer dans leurs carrières solo respectives. C’est ainsi qu’entre 2016 et 2017, le premier enregistre deux opus sous l’alias de Warhaus, tandis que le second prend le pseudonyme J. Bernardt et sort son propre album “Running Days” en 2017. Entretemps, Patricia Vanneste choisit également de quitter le groupe vers d’autres horizons.
Après ces expériences solitaires, les deux auteurs-compositeurs se retrouvent finalement afin de donner une suite à “Thin Walls”. En fin d’année 2017, ils louent une maison dans les Ardennes et s’adonnent pendant une semaine à de longues jam sessions, qui les amènent à créer compositions sur compositions. Cette productivité donnera finalement lieu à la création de la chanson “Fever“, qui donna le ton et son titre à l’album. Ce dernier sort le 25 janvier 2019, distribué par le label PIAS et connaît un réel succès critique. Peu de temps après, le groupe accueille le multi instrumentiste Tijs Delbeke qui les accompagne entre autres comme violoniste. S’ensuit une tournée qui suit actuellement son cours et qui avait déjà été marquée, entre autres, par le passage des artistes belges au festival des Vieilles Charrues en juillet dernier. Pour leur retour en terre bretonne, ils donneront un concert le 23 janvier prochain à 20h30 au Carré Sévigné.
A l’origine de “Fever”, l’équipe de Balthazar souhaitait donner un nouveau souffle à sa musique et retranscrire, dans l’esprit des Talking Heads, des atmosphères festives en y associant une réelle profondeur. Un changement d’attitude que l’on perçoit dès le début de sa chanson-titre, pierre angulaire de l’oeuvre dont on constate qu’elle porte bien son nom, tant elle réussit à nous saisir et à nous entraîner dans la danse. En effet, elle est construite sur une ligne de basse très groovy réalisée par Simon Casier, ainsi qu’une rythmique syncopée de percussions au tempo dynamique. Plus généralement, ce sentiment d’ardeur traverse tout l’album et apparaît de façon plus manifeste dans des morceaux comme “Entertainment“et “Roller Coaster“.
A la première écoute, on croirait aussi cerner une certaine sensualité à l’écoute de certains titres aux contours langoureux comme “I’m Never Gonna Let You Down Again“, ou encore à travers les chuchotements de Maarten Devoldere sur des chansons comme “Phone Number” et “Grapefruit”. Mais s’il est bien question d’amour dans Fever, c’est souvent pour en aborder les zones d’ombre : en effet, une bonne partie de ces compositions racontent des liaisons instables voire orageuses (“Wrong Vibration”). Ainsi, dans “Changes”, les artistes belges abordent-ils la peur du changement qui vient parfois perturber ces relations. Dans le même temps, ils n’hésitent pas à mettre en scène des personnages un brin égoïstes, ou à la morale complexe. Parmi eux, le protagoniste au centre des morceaux “Watchu Doin” et “Phone Number” exprime, de façon acerbe, son amertume face à une rupture consommée.
Artistiquement parlant, on retrouve dans cet album certains des aspects centraux dans l’identité musicale de Balthazar. Presque toutes ces compositions sont construites principalement autour d’une ligne de basse forte, un élément qu’ils ont intégré à leur esthétique dès leurs débuts et qui avait pris une approche plus mélodique et funky dès l’album Rats. C’est d’ailleurs pendant la création de cet opus que Maarten Devoldere et Jinte Deprez avaient découvert “Melody Nelson” de Serge Gainsbourg, qui fut une grande source d’inspiration. Cette œuvre majeure est marquée entre autres par des lignes de basse mouvantes que l’on doit à Dave Richmond, ancien musicien du groupe britannique Manfred Mann pendant les années 60. Interviennent également dans “Fever” des parties de violons très expressives, que Patricia Vanneste a enregistré sur l’album et qui sont désormais assurées en concert par Tijs Delbeke.
Par ailleurs, le charme de la musique de Balthazar tient en partie à ses arrangements minimalistes, qui n’en sont pas moins ciselés. En l’occurrence, chacune des 11 chansons de “Fever” est structurée autour d’un contrepoint habile, qui met en avant des motifs résolument accrocheurs et des rythmiques superposées qui, parfois, relèvent quasiment de la transe. Ce qui caractérise également cet opus, c’est ses dimensions hétéroclite et protéiforme, en vertu desquelles il semble impossible de restreindre le groupe à un style unique ou identifiable. D’une chanson à l’autre, la formation manie des matériaux et des références qui font écho à des répertoires différents et qu’ils transforment à leur manière, sans aucune incohérence ni effet brutal de rupture. A cet égard, les voix des deux leaders de Balthazar semblent manier finement ces références, avec une belle complémentarité. De fait dans “I’ll Never Let You Down Again”, le chant de Jinte Deprez exploite une voix de tête et un phrasé proche de ceux des interprètes du r&b contemporain. Quand à la belle voix grave de Maarten Devoldere, parfois légèrement éraillée, elle rappelle celle de Leonard Cohen ou par moments Lou Reed. Mais elle sait aussi adopter des inflexions agressives ou plus traînantes (“Wrong Vibration”) qui l’apparentent parfois à des artistes comme Damon Albarn, ancien meneur de Blur aujourd’hui membre de Gorillaz et de The Good The Bad & The Queen.
Sur le plan instrumental, les inspirations sont elles aussi diverses : on décèle par exemple dans “Wrong Vibration” des influences communes avec la soul, ou encore les styles pop et rock des années 60 : pour cause, les breaks décochés par Michiel Balcaen rappellent immédiatement ceux qui faisaient la signature rythmique de Benny Benjamin, éminent batteur des Funk Brothers du label Motown. De même, certains auront peut-être remarqué la très furtive allusion au “Sympathy For The Devil” des Rolling Stones dans les parties de choeurs de “Entertainment”. Dans un autre registre, la chanson “Roller Coaster” est articulée autour d’une rythmique et une ligne de basse qui semblent inspirées des styles afro pop. Elle présente également des parties de violon dont les contours mélodiques peuvent évoquer les modes issus des répertoires méditerranéens.
Avec “Fever”, les membres de Balthazar ont conçu un album qui occupe une place particulière dans leur parcours. Tout en conservant des instrumentations épurées et élaborées, ils sont parvenus à y insuffler une énergie pour le moins réjouissante, puisée dans la force du collectif. Un état d’esprit qu’ils devraient nous transmettre sans mal, à l’occasion de leur venue au Carré Sévigné jeudi prochain. A ne pas manquer…
Balthazar sera en concert jeudi 23 janvier 2020 à 20h30, au Carré Sévigné du Pont Des Arts de Cesson-Sévigné (35).
Si vous souhaitez assister à l’événement, il reste quelques places disponibles sur le site de la billetterie : ICI