La disparition de Josef Mengele de Matz et Jörg Mailliet, publiée aux éditions les Arènes, est l’histoire d’une longue traque. Celle d’un nazi, « médecin » du camp d’Auschwitz qui fuit ses crimes en se cachant en Amérique du Sud. Un récit documenté, porté par un superbe dessin. Indispensable.
On sait que l’évocation historique de Josef Mengele va nous amener à découvrir un homme odieux, insupportable, un individu qui fut le médecin d’Auschwitz, pratiquant les expériences les plus abominables sur les internés juifs dans le camp qu’il considérait comme un zoo humain. Et pourtant la description qu’en font Matz et Jörg Mailliet, en adaptant en BD le superbe roman d’Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele (prix Renaudot 2017), rend l’individu encore plus horrible et insupportable qu’il n’était déjà envisagé.
Mengele fait partie de ces dignitaires nazis qui se sont enfuis en Amérique du Sud avec la complicité de l’Église catholique, dès la fin du conflit. Ils sont nombreux à s’être volatilisés sans que quiconque leur demande des comptes, les Américains étant dans un second temps plus préoccupés par la lutte contre les communistes, quitte à pactiser avec ces Allemands viscéralement anti-soviétiques. Une double page d’un cocktail sur un bateau rend compte de cette micro-société qui se reconstitue en Amérique du Sud. Le croate Pavelic, responsable de la mort de 850 000 Serbes juifs et tziganes, trinque avec le deuxième fils de Mussolini, à côté d’un ex-chef de la Milice en Ariège et de Reinhard Kopps, ancien officier SS et organisateur de l’exfiltration de ses amis nazis avec l’aide du Vatican et de la Croix-Rouge. On peut aussi y ajouter Klaus Barbie et Adolf Eichmann, que nous retrouvons dans la BD.
Les premières planches assomment jusqu’à la nausée à la suite de l’évocation des crimes odieux commis par le scientifique du Reich dans les camps de concentration où il choisit les hommes et femmes à l’arrivée des trains comme on fait son marché. Nausée alourdie par la description de la vie coquette menée à Buenos Aires par ces criminels, réunis en micro-société solidaire où la nouvelle richesse côtoie la persistance des idées, l’absence de « conscience », que Mengele qualifie de maladie. Hautains, certains de leur valeur inestimable, ces individus rêvent d’une revanche et d’instaurer le IVe Reich.
Lourdes et étouffantes, ces pages documentées s’accompagnent d’un dessin magnifique de Jörg Mailliet qui rend compte de cet entre-soi insupportable dans une Argentine où le président Perón ferme les yeux sur cette « élite » européenne. À cette solidarité idéologique s’ajoute le soutien des familles. Celle de Mengele est prospère économiquement, qui envoie argent et soutiens logistiques d’Allemagne pour que la vie se poursuive sans heurts.
Ce sentiment d’impuissance et d’impunité crée une forte tension de lecture jusqu’à ce que peu à peu, la bascule, très lentement, voire trop lentement, s’opère. Cette descente aux enfers, comme celle d’Eichmann enlevé et exfiltré par le Mossad, s’accompagne dans la BD de dessins oniriques magnifiques où les serpents et scorpions envahissent les pages comme ils envahissent le cerveau malade de Mengele. Même le soleil, dans une case, se voile de noir. Mengele va passer de pays en pays pour finir misérablement sur une plage brésilienne, sans jamais avoir renié ses folles convictions.
Compte tenu de la gravité du sujet et de sa réalité, on hésite à écrire que la traque du médecin ressemble fort à un roman policier. Pourtant l’histoire vraie dévoile les difficultés rencontrées pour atteindre le nazi plus rapidement, localisé mais abandonné au profit d’actions plus immédiates. La géopolitique n’est jamais bien loin.
On ne saurait dire combien cette BD fait œuvre de salut public en mettant à la portée du plus grand nombre ces pans d’histoire essentiels, parfois peu enseignés, trop vite oubliés. Écœurante de par la persistance de l’idéologie mortifère chez ces monstres dans un Buenos Aires accueillant et ensoleillé, la BD au fur et à mesure des années passées, accompagne la déliquescence physique et morale du médecin nazi et nous donne un trouble sentiment de soulagement. Celui qu’une forme de morale existe, que ce soit celle des hommes ou celle de forces supérieures. Et que l’enfer existe peut-être aussi pour les bourreaux.