BD Anita Conti de Catel et Bocquet, pionnière de l’océanographie

anita conti bocquet catel

Avec ANITA CONTI, paru aux éditions Casterman, Catel et Bocquet racontent la vie fascinante et libre de la première femme océanographe. Passionnant et instructif.

C’est une BD attendue comme un rendez vous. Depuis 2007 et le succès considérable de Kiki de Montparnasse, Catel au dessin et Bocquet au scénario, nous offrent tous les trois ou quatre ans une « bio-graphique » de ce qu’ils ont appelé les « clandestines de l’Histoire » ces femmes agissantes et importantes dans leur époque mais que l’Histoire a gommées totalement ou partiellement dans le récit national. Habitant désormais à Fécamp les auteurs ne pouvaient pas passer à côté de la biographie d’une des personnalités majeures de la ville, Anita Conti, première femme océanographe à embarquer sur des bateaux de pêche à la morue notamment, elle qui partit notamment en 1939 et en 1952 du port normand vers Terre Neuve sur le Vikings puis Le Bois Rosé. Photographe, cinéaste, scientifique, relieuse d’art, journaliste, les définitions sont multiples pour définir cette femme née à la fin du XIX ème siècle dans une famille lettrée aisée et qui rapidement, sous l’influence de son père médecin hygiéniste, va se découvrir une passion pour la mer et ses habitants.

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« Un vrai garçon manqué », dit d’elle, adolescente, un marin. « Non ! Je suis une jeune fille réussie », répond elle. Propos rapportés ou imaginés, cette réponse immédiate donne une image parfaite de la personnalité d’Anita Conti, qui fait écho à celles de Olympe de Gouges ou d’Alice Guy. Curieuse, délurée, brillante, comme elles, Anita Caracotchian tranche rapidement dans son milieu bourgeois par sa capacité à abandonner naturellement la vie de femme que les codes sociétaux lui proposent. Libre comme un poisson dans l’eau, elle va vivre son existence d’enfant puis d’adolescente sans préoccupation des convenances. Mariée à 28 ans, elle va se séparer quelques années plus tard en bonne intelligence d’avec son époux dont elle gardera le nom, une anomalie à cette époque.

Militante sans le savoir, sans le revendiquer, elle va agir comme féministe, écologiste alors que ces mots n‘existent pas encore. Féministe simplement, en vivant comme bon lui semble, jusque dans sa relation intime avec Marguerite de Quénétain dite « Paquerette », une amie devenue amante. Seule femme embarquée avec des dizaines d’hommes en milieu clos pendant des semaines rien d’autre ne la préoccupe que les missions scientifiques qui lui sont assignées dans la mesure où dit elle, elle ne cherche pas un homme susceptible de lui plaire plus qu’un autre.

Écologiste, son combat premier va être, s’appuyant sur des constatations scientifiques, de tenter de limiter les quantités prélevées de poissons. Déjà dans la fin des années 30, les prises deviennent moins grosses et Anita Conti écrit sans cesse que la pêche est une activité contraire à celle de l’agriculture : « Produire ici, ce n’est pas faire naître, c’est tuer ». Ces « racleurs d’océans », titre de son premier ouvrage, rejettent de surcroit une quantité invraisemblable de « faux poisson », c’est à dire ce qui n’est pas la morue. Ces constats faits, elle va chercher sans cesse à proposer des solutions au gaspillage en inventant par exemple l’aquaculture. Analyser, comprendre et agir tel est le mantra de la scientifique.

La « méthode » Catel et Bocquet est désormais connue. Un travail de compilations de documentations énorme, une mise en récit chronologique par séquences souvent courtes, une histoire mélangeant la vie publique et la vie intime, pour raconter finalement une existence peu banale et une femme incontournable. Le rythme est endiablé tant la vie d’Anita Conti est faite de voyages, d’études car contrairement à Jean Gaumy, la photographie n’est qu’une palette de ses activités sur un bateau. Les sujets d’intérêt, les réponses recherchées sans fin, constituent la vie d’Anita Conti préoccupée de nourrir la population de la Terre entière. Une frénésie qui la trouve toujours souriante sur les photos comme sur la couverture de la BD.

anita conti bd

On aime le dessin identifié de Catel, son encrage, ses formes arrondies et douces. Cette fois-ci le défi était de dessiner la mer, la pêche sous l’oeil vigilant, avisé et critique, d’anciens patrons de pêche fécampois notamment. Seule entorse au dessin habituel, l’évocation des photos prises par Anita Conti, dont les célèbres portraits de Eugéne Recher, ou les scènes de pêche sur les ponts de navire chahutés par la tempête: le stylo et les traits fins remplacent les aplats noirs et ronds.

Fécamp, qui n’a pas su conserver les archives d’Anita Conti, se rattrape cette année avec une exposition aux Pêcheries, La Dame aux semelles de vent (1) titre qui rappelle aussi qu’Anita Conti aimait les mots, la poésie et savait écrire aussi bien que photographier.

Bien alignés dans la bibliothèque les cinq clandestines de l’histoire forment comme un début d’encyclopédie parallèle à l’Histoire officielle. Nous avons hâte d’en découvrir le sixième tome. Dans trois ou quatre ans probablement.

ANITA CONTI de Catel et Bocquet. Éditions Casterman. 368 pages. 24,95€. Parution le 18 septembre 2024

La Bd se termine comme les quatre ouvrage précédents par une très importante chronologie biographique de Anita Conti et des notices biographiques personnalisées, sans rapport avec les définitions de dictionnaire, mais qui éclairent de nombreuses séquences de la BD.

(1) : Jusqu’au 5 Janvier 2025. On peut y voir de nombreuses planches originales de l’ouvrage. Le catalogue de l’expo offre un heureux complément à la BD.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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