Avec cette adaptation graphique du deuxième roman à succès de Julia Billet, Mayalen Goust s’adresse surtout aux adultes. Changement de lectorat réussi.
Paradoxal le titre de cette BD, Au nom de Catherine, alors que l’héroïne s’appelle en fait Rachel, Rachel Levi. Une transformation qui dit beaucoup de l’album et de la période concernée. Cette modification patronymique, les jeunes lecteurs de la romancière Laura Billet la connaissent déjà. Dans le premier opus, La Guerre de Catherine, la jeune héroïne juive était cachée dans la Maison des enfants à Sèvres où se constituait une sorte de République des enfants. Elle y découvrait sa passion pour la photographie dont elle voulait en faire son métier à la fin de la guerre.
Avec cette suite, le ton de l’histoire de Catherine se modifie. Il a fallu pour cela que la dessinatrice change et s’adresse à un lectorat plus adulte. Dans la BD précédente, les dessins de Claire Fauvel, tout en douceur, avec des atmosphères d’aquarelles et un trait léger, parlaient à un jeune public marquant la volonté de lui faire découvrir la Seconde Guerre mondiale en maintenant une distanciation nécessaire au jeune âge. Dans cet album, Mayalen Goust, à qui l’on doit le très remarqué Vies Volées, confère au récit une atmosphère plus lourde, plus pesante. Les esquisses crayonnées laissent la place à de grands aplats de couleurs où le noir et le rouge jouent un rôle essentiel. Catherine, coiffée d’une magnifique chevelure noire, a aussi grandi plus vite que les années. Ce n’est plus une enfant ou une adolescente, soucieuse notamment de sa vie amoureuse que l’on découvre, mais une jeune femme, libre et désireuse de s’accomplir dans sa vie d’adulte à venir. Les deux couvertures des ouvrages montrent à la perfection ce changement de ton et de période. La jeune fille, cheveux au vent, insouciante, Rolleiflex sur la poitrine, laisse la place à une femme qui porte son regard noir sur le monde environnant, l’appareil photos à hauteur de visage.
Catherine décide en effet, dans cette période où tout bascule, de devenir reporter photographe. Ce n’est pas forcément chose aisée à la fin du conflit mondial, période où les femmes doivent encore obtenir l’autorisation de leur mari, ou d’un patron masculin, pour exercer un métier.
Tenace et volontaire, à l’image de Lee Miller qui s’est affranchie de Man Ray, sa vocation va lui permettre, en compagnie du lecteur, d’aborder les évolutions qui bouleversent alors la société française. Avec Catherine, on rentre chez Simone de Beauvoir, autrice du Deuxième Sexe. On frôle le luxe et le superflu en effectuant une séance de shooting chez Balenciaga. On débarque à la Ruche, cet immeuble mythique où « les alvéoles sont comme des nids » pour des artistes de tout genre, venus du monde entier. La jeune photographe y côtoie notamment Chagall.
Dans cette découverte initiatique d’un monde en plein renouveau, Catherine va se confronter à une ambition plus complexe : la réconciliation Franco Allemande avec l’organisation d’un camp de vacances pour jeunes. Le reste du monde n’est pas oublié, car à l’image de l’agence Magnum qui vient de se créer, et qui envoie ses plus illustres reporters dans tous les coins de l’univers, Catherine va même se rendre aux États Unis pour rendre compte du racisme et de l’apartheid, figeant sur sa pellicule les lieux de discrimination que sont les transports en commun ou les toilettes publiques.
Véritable rupture, cette BD est dans l’air du temps. Féministe, elle raconte le long combat des femmes pour obtenir l’égalité avec des hommes tels les patrons de presse qui ne regardent souvent Catherine que comme une photographe supplétive, chargée de sujets secondaires. Changement de style, changement d’époque, changement de regard, Au nom de Catherine, réussit pleinement sa mutation. Et annonce une révolution sociétale à venir, et toujours en cours.