BD. Carole ou la recherche des origines

BD Carole Clément C. Fabre

Le titre de la BD Carole, parue aux éditions Dargaud, a pour sous-titre « Ce que nous laissons derrière nous ». C’est bien à son passé familial arménien, que Clément C. Fabre décide de consacrer un voyage et un récit. Avec tact, sensibilité et talent.

« Je réalise que c’est l’histoire qui fait la famille, et qu’en conserver la trace, aussi infime soit-elle, est important ». Cette dernière phrase de Clément C. Fabre, presque dissimulée, à la fin de l’album, dit tout de cette belle BD qui raconte la recherche de l’auteur de son passé familial, une recherche peut-être encore plus importante quand on se sait arménien d’origine et que cette quête identitaire sera probablement rattachée à des souvenirs douloureux. 

Le caractère minuscule de la typo de la phrase dit tout aussi de la tonalité de l’album tout en discrétion, par crainte de violer l’histoire des membres de la famille, d’« être un vautour qui exploite l’histoire des autres ». Tout est écrit du bout des lèvres dans le respect de la vie de chacune et chacun pour ne pas faire du lecteur un voyeur. Du bout des pinceaux aussi, tant l’album baigne dans une douce lumière pleine de nuances. Les couleurs d’aquarelle font de ce voyage dans le temps, un voyage en Turquie, à Istanbul, une déambulation dans un pays si différent dont l’auteur et son frère cherchent à comprendre l’histoire, le présent, la culture et le passé. 

  • BD Carole Clément C. Fabre
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Ils ont une raison objective à ce déplacement sur les rives du Bosphore : retrouver la tombe de la sœur de leur mère, Carole, décédée quelques jours après sa naissance et dont la courte existence n’avait jamais été évoquée. Ainsi commence une recherche d’une sépulture qui va devenir peu à peu la quête du passé familial et de l’identité actuelle des deux voyageurs tant « les traumatismes se transmettent entre générations sans même l’usage de la parole »

Nous sommes à Istanbul, trois ans avant la commémoration du centenaire du génocide arménien par les Turcs avec en toile de fond les premières manifestations anti Erdogan, connu « à l’époque que des spécialistes » et qui souhaite dans la ligne droite d’Atatürk, construire un centre commercial sur un cimetière Arménien. En retournant sur place, en photographiant les lieux de vies de leurs grands-parents à qui ils transmettent ces souvenirs, Clément et son frère Robin rouvrent la boîte de Pandore. Entre souvenirs, témoignages oraux, paroles des grands-parents qui se libèrent pour la première fois, photographies sépia, c’est toute la complexité de l’identité qui apparait à l’auteur : « J’ai l’impression qu’à devoir choisir entre Arménie et Turquie, j’ai toujours refusé les deux. Comme si j’avais honte de mes origines ».

La petite histoire traverse ainsi la grande Histoire mettant le doigt sur certains évènements douloureux comme cet attentat organisé par la Turquie contre elle-même, le 5 septembre 1955 pour justifier le pillage organisé et le départ de 120 000 étrangers. Dans un choc historique, Clément découvre parallèlement que son grand-père arménien fut de manière étonnante, le capitaine d’une équipe de basket turque. Comme un raccourci de phénomènes complexes entre intégration et détestation. 

BD Carole Clément C. Fabre

Résilience, souvenirs tronqués, autant de procédés psychologiques inconscients mis en œuvre pour vivre, survivre et autant de moments narratifs racontés minutieusement mais avec tact pour ne pas réveiller des douleurs insupportables. Comme les grands-parents de Sonia de Villers, qui raconte dans son livre Les Exportés comment ceux-ci ont gommé leurs origines juives, les aïeux de Clément et Robin ont privilégié les moments heureux et ne parlent jamais du génocide de leurs ancêtres avec leurs petits-enfants. Jusqu’à ce voyage.

On ne saurait évoquer cet album sans écrire l’importance et la juste description des liens familiaux, de leur tendresse, y compris dans les réticences de la maman : « Qu’est-ce que ça apporterait de ressasser cet épisode triste ? ». À cette mère inquiète on peut désormais lui dire, album en mains que cet ouvrage poursuit sans haine la recherche des origines familiales, celles que nous avons tous et toutes et dont nous savons si peu. Ces origines qui nous constituent à notre insu.

« Carole : ce que nous laissons derrière nous » de Clément C. Fabre. Éditions Dargaud. 224 pages. 24€. 

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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