Qui a volé la mallette de Charlie ? À cette question à un million de dollars, Moynot apporte une réponse colorée et délirante dans Cherchez Charlie, aux éditions Sarbacane. Au lecteur d’ouvrir l’œil et le bon.
C’est l’histoire de personnes à l’allure ordinaire qui font des choses peu ordinaires. De rencontres hasardeuses qui ne sont pas dues au hasard. Et d’une grande balade dans les quartiers de New York, dans ces larges avenues où l’on vous pique une mallette de livres de comptes comme rien. Des livres comptables d’un chef maffieux bien entendu. Un vol à la sauvette où tout le monde se sauve. Mais se sauve pour échapper à qui ? À quoi ? Peut-être à un enquêteur du FBI ? À une femme hippie ? Pourtant on peut affirmer que tout est normal jusque là. Un vol à Times Square, cela doit courir les rues. Mais rapidement, de cases en cases, l’action s’accélère. Sans attendre le bas de page, de multiples personnages français, latinos, brésiliens, américains, italiens font leur apparition. En bon physionomiste, vous devez les mémoriser car ces créatures patibulaires vont chercher à retrouver cette mallette, tantôt grise, tantôt noire. Et puis dans le désordre, vous allez croiser des flics déguisés en femmes, une voleuse hippie, un comptable à l’imper couleur mastic, séduisant comme une barre de fer, un travesti amoureux. Et des maîtres chanteurs, en veux-tu en voilà. « En veux-tu » d’ailleurs plus que « en voilà » !
Comme dans un théâtre de boulevard tout va à cent à l’heure. Cela rentre, cela sort. Pas du placard de la chambre à coucher mais d’un bar à hôtesses, d’une prison du commissariat, d’un barbier, même si parfois on trouve aussi des cadavres dans les placards.
On se croit parfois aussi dans une tragédie antique : unité de lieu, La Grosse Pomme. Unité de temps de 10H30 à 23H15. Unité de fait : retrouver un livre de comptes. Et il s’agit bien d’une tragédie, on peut vous l’affirmer. Même si elle n’a rien de grec.
Cela fait penser aussi à un autre genre : celui du conte pour enfants quand le loup court autour de l’arbre en poursuivant le renard qui à son tour poursuit le loup. Qui est le chasseur ? Qui est le chassé ? On ne sait plus trop.
Mais au final, quand vous refermez la BD vous avez bien lu un bon polar, plein de méchants, de gentils ou de faux gentils, de traîtres, de crapules. Et de morts car, sans divulgâcher l’intrigue, il semble quand même utile de préciser que les entreprises de pompes funèbres auront du travail. Pour clôturer le tout, Moynot y ajoute une bonne dose d’humour. Noir bien entendu l’humour. Contrairement au dessin tout en couleurs, en vraies couleurs flashy dont la couverture donne un aperçu. Ce sont les années soixante qui ressurgissent, les années du Pop Art, des hippies, des junkies et il est normal que l’album s’achève à l’été 69 du côté de Woodstock. La musique en point d’orgue de l’autre passion d’Emmanuel Moynot qui poursuit ici ses BD de Série noire après avoir illustré notamment six tomes de la série Nestor Burma qu’il a reprise.
Une fois la dernière page achevée (comme bon nombre de truands), livrez-vous à un exercice de relecture : sans vous tromper, cherchez à identifier les personnages encore vivants à la dernière case. Si vous avez vu juste, vous êtes un lecteur attentif. Si vous vous êtes trompés, recommencez à la première page. Et comme dans les livres pour enfants Où est Charlie, cherchez avec attention et relisez toutes les cases avec précision. Charlie est peut-être sous la banquette du taxi. Ou dans le placard de la chambre à coucher? Ou est-il monté au ciel ? Qui sait ?