Dalí, Avant Gala, publié aux éditions Dargaud, a reçu le Prix René Goscinny – meilleure scénariste au festival Angoulême qui s’est tenu du 25 au 28 janvier 2024. Dans le premier tome de cette nouvelle collaboration, Julie Birmant et Clément Oubrerie nous proposent de découvrir la jeunesse et la genèse de l’œuvre de Salvador Dalí. Rationalistes s’abstenir.
Nombreux sont ceux qui pensent qu’il est un peintre surréaliste majeur du XXe siècle mais que derrière cette définition se cache un hurluberlu, imposteur, s’enrichissant de faux scandales, se nourrissant de chocolat Lanvin, pour populariser son nom. Dalí, c’est de lui qu’il s’agit, a laissé cette double impression et la BD Dalí, deux syllabes qui claquent sur la couverture, va s’ingénier à démontrer que le peintre catalan n’a jamais joué un rôle de composition mais que sa personnalité réelle et fondatrice ne fut que fantaisie, démesure et iconoclastie.
Julie Birmant au scénario et Clément Oubrerie au dessin, les formidables auteurs de la quadrilogie qui fit date, appelée sobrement Pablo consacrée aux débuts parisiens de Picasso, se lancent cette fois-ci dans la biographie du peintre des Montres Molles. Dix ans plus tard, le lecteur est donc en terrain connu, sentiment que renforce le début de l’ouvrage qui s’ouvre sur un dessin pleine page : Pablo, devenu Picasso, peint devant Eluard. Nous sommes en 1929. Pablo a vieilli, Éluard aussi.
Un grand sujet de conversation les anime, Gala, l’amour du poète surréaliste, est convoitée par un étrange andalou, « un bellâtre de vingt ans », qui va prendre, sous le dessin de Oubrerie, les traits du Diable Méphisto, un des sept princes de l’Enfer. C’est bien d’Enfer dont il est question. D’abord celui vécu par ses parents à Figueras, soumis aux volontés et aux phobies incontrôlées du jeune Salvador, visiblement doué pour le dessin mais inapte à la vie quotidienne. Capable de sauter des marches de son établissement scolaire et de se fracasser le crâne pour imiter les sauterelles, ces insectes à moitié morts « avec des pattes qui bougent encore » ou de changer avec ses camarades ses pièces de 10 pesetas contre des pièces de 5 pesetas. Mais son talent artistique est si incontestable qu’il est quand même admis à l’Académie Royale des Beaux Arts de Madrid. Dans la capitale, il décortique et analyse avec brio quelques chefs d’œuvre de la peinture comme Les Ménines de Velasquez. Il va y faire la connaissance de trois personnages majeurs : Federico García Lorca, Luis Buñuel et Pepín Bello. Attiré par García Lorca, obsédé par les aisselles féminines épilées, ou non, il apprend à grandir et à se construire sur une terreur refoulée de l’activité sexuelle qu’il surmonte en inventant des images fantasmées, si proches du surréalisme, mouvement qui veut réconcilier le rêve et la réalité. Ce mouvement, le jeune homme apprend à le côtoyer et en appréhender les principes.
C’est à Paris que la vie intellectuelle et picturale se passe. Alors départ pour la capitale française, étape décisive dans le parcours du jeune Salvador. Il veut y rencontrer Picasso mais il va y découvrir aussi Aragon, Soupault, Miró et tant d’autres, un mouvement intellectuel effervescent et une liberté de mœurs qui va lui permettre de prendre une autre dimension, celle du génie qu’il pense pouvoir devenir, conscient de sa différence et de sa perception « anormale » des choses et du monde.
Cette dimension paradoxale le dessin de Clément Oubrerie, réaliste mais au trait fuyant et torve, la fait vivre et ressentir, mêlant, sans ostentation, l’onirisme et le concret. Les dessins pleine page subliment les rêves et les visions de Dalí. On se balade dans ce Paris du début du XXème siècle, que les auteurs connaissent à la perfection, tant dans des lieux mythiques comme La Closerie des Lilas ou le bordel Le Chabanais, que sur les quais de Seine.
Nous sommes loin de l’ouvrage Dalí par Baudoin (2012, éditions Dupuis) qui offrait une vision personnelle de l’œuvre du génial créateur espagnol. Ici les auteurs ont choisi plutôt le caractère classique d’une biographie, restituant parfaitement une époque, des lieux et l’apprentissage de la vie d’un jeune homme, finalement sympathique, dévoré de névroses qu’il va surmonter, puis utiliser, pour en faire une œuvre artistique unique.
Et Gala dans tout cela, Gala ou Galoutchka ? Son nom ouvre la BD mais on ne la retrouve qu’à la dernière page. Avant Gala dit le sous-titre de l’album. Femme rêvée et fantasmée par Dalí, elle surgit sur son traîneau venant de Moscou. Nul doute que dans le second tome à paraître, celle qui va devenir la muse et l’épouse de Dalí descendra de sa grande luge pour s’arrêter dans les bras du jeune andalou. Et lui offrir l’Amour absolu.