Se construire à l’adolescence n’est pas chose facile. Les vestiaires et douches d’un collège révèlent souvent ces difficultés de grandir. Timothé le Boucher nous le rappelle dans un récit sombre et un dessin tracé au scalpel. Glaçant.
Dans son numéro du 21 juin 2019, l’Equipe Magazine titrait en couverture « Douches Froides », sur une photo montrant les footballeurs Pelé et Beckenbauer nus sous la douche. Ainsi était présentée l’enquête sur le retour de la pudeur dans les vestiaires : « Il y a vingt ans c’était « tous à poil ». Aujourd’hui les douches se raréfient ou se prennent de moins en moins nu. ».
Le vestiaire a toujours été ainsi un lieu révélateur du rapport des corps avec la société. Ce lieu clos, objet de multiples fantasmes, est encore plus révélateur quand il concerne les adolescents dont le corps changeant s’éveille à la sexualité. La taille du sexe pour les garçons, de la poitrine pour les filles, la pilosité, peuvent devenir l’objet de plaisanteries, de violences verbales à cette période de la vie où la férocité l’emporte sur l’empathie.
Ce thème, Timothy le Boucher l’avait déjà traité en 2014, dans un album appelé Les Vestiaires. Les éditions La Boîte à Bulles ont la bonne idée de rééditer cette BD, profitant de la renommée nouvelle du dessinateur depuis la parution de Ces jours qui disparaissent et plus encore de Le Patient, deux albums qui ont fait entrer l’auteur dans le domaine des « grands ».
C’est bien un vestiaire de collège qui est le décor de cette histoire. Un vestiaire nouveau, tout beau, tout neuf mais avec une modification majeure : les douches sont désormais collectives ! Un bouleversement d’autant plus important qu’il va libérer les instincts les plus bas et dévoiler toutes les formes possibles de racisme : la rousseur, l’embonpoint, les aisselles fournies, tout ce qui différencie les adolescents de la « normalité », telle qu’ils la définissent, deviennent objet de moqueries, de violences verbales.
Au-dessus de tout, une peur prédomine et pousse la violence au paroxysme : le rejet du corps de l’autre garçon pour éviter d’être considéré comme « pédé », insulte suprême. Timothé le Boucher transforme ce lieu clos en théâtre de la violence. Les mots sont parfois aussi rudes que les poings et le mélange des deux est explosif. Les réseaux sociaux, la pyramide des groupes auxquels il faut un souffre douleur, Corentin le grassouillet sera celui-là, pour rester stable, les différences physiques, sociales, de sexe sont mises à nu.
Il faut que chacun montre sa force, cache ses obligatoires faiblesses, et un aveu de Gauthier, leader aux pieds d’argile, résume ce terrible constat : « Pour ne pas se faire humilier, il faut humilier à son tour ». Ces scènes d’écrasement de l’autre sont nombreuses, mettant le lecteur parfois en difficulté, le touchant au coeur et les images volontairement floutées du monde extérieur l’oblige à garder sa vigilance et son regard sur le drame qui se déroule à l’intérieur. Pas d’échappatoire possible jusqu’à une probable tragédie.
Par son dessin, facilement identifiable, Timothé le Boucher croque avec férocité les instincts de ces êtres en construction physique et psychologique. Au fur et à mesure des jeudis, les hiérarchies se tendent, les attitudes se transforment. Comme les corps, les coeurs et les esprits. Mais il faut absolument garder la face. On trouve déjà dans les pages de cette BD, les qualités graphiques premières des oeuvres futures : les aplats de couleurs, le nombre limité de coloris, la manière édulcorée de dessiner les visages. Et déjà, il met en oeuvre un procédé narratif que l’on retrouvera par la suite : une conclusion surprenante à découvrir dans les ultimes cases. Dans les vestiaires n’est pas un exercice de débutant. Par sa construction et par la force de son propos, cette BD nous interroge et nous bouleverse mettant en lumière la violence de l’adolescence. Une micro société est révélée entre les quatre murs d’un vestiaire. Comme dans un laboratoire.