Trente ans après la guerre du Vietnam, il est toujours difficile d’obtenir des témoignages objectifs de ce que fut l’un des conflits les plus sombres du XXe siècle. Les ouvrages évoqués dans cette chronique ne font pas dans la plaisanterie hollywoodienne. Pas question de glorifier la musculature de John Rambo. Bien au contraire. Voici deux regards différents sans pour autant être antagonistes, l’un du point de vue de l’occupant, l’autre de l’occupé, sur une guerre trop souvent sublimée par de fausses et maladroites louanges.
De l’autre côté, de Jason Aaron & Cameron Stewart
Editions Vertigo, octobre 2013, 120 pages couleurs + 20 de bonus – 15 €
1968, le conflit vietnamien entame sa quinzième année dans une escalade d’horreurs. Par le dessin de Cameron Stewart, le scénariste Jason Aaron propose une vision bicéphale de l’histoire. Bill Everette, jeune américain, nourrit des rêves de son âge, se trouve contraint à quitter le fin fond de l’Alabama pour combattre dans un pays inconnu. Face à lui, Vo Dai n’hésite pas à s’engager contre l’envahisseur lorsque l’armée populaire appelle à la mobilisation. On comprend dès le premier chapitre qu’une guerre ne se gagne jamais par la force, mais grâce à une efficience nourrie de conviction. De l’autre côté étonne par le choix des cadrages, par les couleurs en permanente opposition ; la découpe incisive des images séduit autant qu’elle déstabilise, et le renvoi à de multiples scènes oniriques laisse penser aux plus belles années du magazine Fluide Glacial, lorsque l’inventivité des années 70 révolutionnait le 9e art. Un mixte graphique entre l’école franco-belge et les comics américains façon Batman. Une singulière réussite, à la fois surprenante et hors du commun. À déconseiller malgré tout aux plus jeunes en raison d’une extrême violence.
Quitter Saïgon – Mémoire de Viet Kieu (volume 1), de Clément Baloup
Editions La boite à Bulles, août 2010, 110 pages couleurs – 18 €
Le trait d’un dessinateur est l’équivalent graphique du style d’un auteur : les plus talentueux sont immédiatement identifiables. À l’opposé du travail de Cameron Stewart, celui de Clément Baloup n’expose aucune emphase. Son propos n’est pas d’adapter graphisme et couleurs à l’histoire, mais de s’en tenir à la ligne esthétique qui définit son travail comme étant sien. Dans Quitter Saïgon, il entreprend la première partie d’une étude autour de la diaspora vietnamienne, les Viet Kieu, contrainte à l’exil entre 1945 et 1975. Ce sont cinq histoires édifiantes (des histoires vraies) qui nous rappellent l’occupation contradictoire des Français, puis celle des Japonais et, enfin, des Américains pour qui la prise de Saïgon par l’armée populaire vietnamienne marquera une humiliation définitive. Nous sommes le 30 avril 1975. Tous les Vietnamiens ne se réjouissent pas du départ de l’occupant, et plusieurs millions choisissent l’exil douloureux d’une vie de réfugiés. Quitter Saïgon a été gratifié de plusieurs prix, dont celui du Jury œcuménique au festival d’Angoulême 2011. Fortement recommandé.
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BD De l’autre côté de Saïgon…