Aurions-nous été résistant ou collaborateur ? Courageux ou peureux ? À ces questions, La Désobéissance d’Andreas Kuppler d’après le roman de Michel Goujon, apporte un éclairage remarquable. À défaut de réponses certaines.
Le chemin est étroit entre courage et lâcheté, héroïsme et bassesse. Une circonstance particulière, un éclair de lucidité, une parole, un rayon de soleil, un clair de lune, suffisent parfois à faire basculer un être du « bon » ou du « mauvais » côté. Résistant actif ou résistant passif? Aveugle ou lucide? Peu d’entre nous peuvent répondre avec certitude à ces questions. L’immense mérite de cette BD, La Désobéissance d’Andreas Kuppler, n’est pas de donner une réponse directe, mais d’imaginer les ressorts et les circonstances qui généreront la réponse.
Nous sommes en 1936, Hitler est au pouvoir depuis 4 ans et le nazisme est bien installé. À Garmisch-Partenkirchen se déroulent les Jeux Olympiques d’hiver, considérés comme une répétition des Jeux d’été de Berlin qui consacreront les exploits de Jesse Owens que le chancelier allemand refusera de voir. Ces Jeux d‘Hiver se veulent un instrument de propagande intérieure, mais font preuve, en apparence, d’une ouverture d’esprit à l’égard des délégations étrangères, notamment celle des Etats Unis. Un habit de lumière pour dissimuler l’obscurité. Sans état d’âme particulier, le journaliste sportif Andreas Kuppler surfe sur sa profession loin de la politique et semble ignorer les évènements de son pays. Il se considère comme à côté. Pas nazi, c’est certain, mais pas opposant non plus. Il regarde, c’est tout. Un moment, poussé par des circonstances extérieures, il va devoir choisir. Sa femme dépressive soutient de plus en plus des associations familiales nazies, mais un soir il danse avec une belle Américaine. Son rédacteur en chef lui enjoint de prendre sa carte au parti nazi pour pouvoir continuer à exercer son métier, mais le soir il rencontre des journalistes américains juifs. Un rayon de soleil ou un clair de lune ? Blanc ou noir ?
Comme dans le remarquable Le voyage de Marcel Crob, les frontières idéologiques sont floues et c’est tant mieux pour le récit. Andreas Kuppler n’est pas un héros. D’une certaine manière ce serait plus facile, moins troublant. Il doute, esquive, met sous le tapis, mais un jour il devra aller d’un côté ou de l’autre. Il faudra attendre les dernières pages pour connaître le chemin final du journaliste, un chemin d’autant plus réaliste qu’il n’est motivé par aucune idéologie préalable, qu’il n’est pas un choix, mais plutôt une évidence, une obligation. On sent le poids de la société, des pesanteurs extérieures et des petites compromissions qui deviennent de grandes lâchetés. C’est un poison qui circule facilité par le silence, le regard de côté. Un virus invisible. En peu de pages, le lecteur s’immerge dans une société en plein aveuglement et semble mieux comprendre les mécanismes, a priori anodins, du basculement d’une démocratie vers un régime totalitaire.
Le texte est magnifique de justesse et de précision et l’on comprend rapidement que la BD est inspirée d’un roman homonyme publié en 2013 et écrit par Michel Goujon. Néanmoins, l’ouvrage demeure une BD et non un texte mis en images. Le scénario de Corbeyran, d’une grande fluidité, mène le récit comme une intrigue policière dans laquelle il ne s’agit pas de trouver un coupable, mais un homme faible ou un homme fort dissimulé par ses contradictions, ses alibis justes ou erronés. Le dessin de Manuel Garcia, créateur d’origine espagnole, tend lui aussi vers la bichromie. Noir et blanc. Les visages sont ombrés, les yeux dissimulés dans l’ombre comme si chaque personnage voulait cacher son regard, révélateur de sentiments. Le trait est rude, puissant, épais conforme à l’époque et seul un bleu pâle évoque les beaux jours, les plages, l’amour.
La désobéissance d’Andreas Kuppler nous renvoie à nos propres faiblesses, nos propres peurs, terreurs. Avec Andreas Kuppler on ne peut se cacher derrière l’Histoire. À nous de nous déterminer, seul face au miroir. En temps de guerre comme en temps de paix.