Compliqué, difficile, ardu, les adjectifs ne sont pas assez nombreux pour décrire le travail des maisons d’édition aux prises avec l’après crise sanitaire. Entre annulations et reports, quelques belles BD vous accompagneront quand même cet été. Petit état des lieux de nouveautés et de rééditions.
Commençons avec une dessinatrice découverte à Angoulême pour son album consacré à Frida Kahlo : Maria Hesse. L’auteure espagnole continue son exploration de la sensibilité féminine avec Le Plaisir (1) et une couverture conforme à son style graphique facilement identifiable. Dans cet ouvrage, elle nous invite à explorer le corps féminin à partir de sa propre expérience et du portrait de quelques femmes, réelles ou fictives, qui ont su explorer le mystère et le pouvoir de la sexualité. De Beyoncé, en passant par Cléopâtre, Mata Hari, Sappho, Caitlin Moran, Marilyn Monroe, Cersei, toutes ont affronté les préjugés d’une époque et contribué à la découverte et à la diffusion de la sexualité, éclairant le chemin du plaisir sexuel féminin sous ses différentes formes. Un prolongement direct de l’album consacré à l’artiste mexicaine.
Restons dans le domaine féminin avec la parution de Anaïs Nin (2) chez Casterman par Léonie Bischoff. Cette biographie aux dessins légers et délicats se propose de raconter la rencontre de la jeune femme avec l’écrivain Henry Miller. Au début des années 30. Anaïs Nin vit en banlieue parisienne. Plusieurs fois déracinée, elle a grandi entre 2 continents, 3 langues, et peine à trouver sa place dans une société qui relègue les femmes à des seconds rôles. Elle veut être écrivain, et s’est inventé, depuis l’enfance, une échappatoire : son journal. Il est sa drogue, son compagnon, son double, celui qui lui permet d’explorer la complexité de ses sentiments et de percevoir la sensualité qui couve en elle. Jusqu’à cette rencontre qui fait partie de l’histoire de la littérature.
Autre artiste mondialement connu : Van Gogh (3). De Larcenet à Smudja, le peintre hollandais a été l’objet de nombreuses BD. Pour innover, le dessinateur croate Danijel Zezelj a cherché un angle d’attaque différent comme le précise le sous-titre de l’ouvrage : Fragments d’une vie en peinture. Au fil de quinze lettres de Van Gogh, adressées à ses proches et étalées sur les 17 années précédant sa mort, l’auteur nous expose les violents remous de l’âme d’un artiste torturé. Illustrant à travers des planches au charme perturbant et à la puissance ténébreuse la déliquescence mentale de ce peintre habité. Il nous emmène dans un sombre et sublime monde composé uniquement de noir et de blanc. Un ouvrage probablement hors normes très attendu.
Restons avec le noir et blanc et un dessinateur français incontournable : Servais. Il revient avec la version intégrale de l’album La petite reine (4) qui n’a rien à voir avec la bicyclette, mais dans lequel Servais le diabolique construit une intrigue en miroir des insectes. Un thriller politico-apicole autour d’une lutte de pouvoir et de femmes-abeilles, aux accents romantiques et écologiques très actuels, malgré sa première édition datant de 1992.
Dupuis profite donc de cette période estivale pour rééditer de belles BD comme R97 Les Hommes à terre (5) de Cailleaux d’après un récit de voyage de Bernard Giraudeau. On aime le dessin maritime de Cailleaux qui trouve ici à s’exprimer pleinement avec une couverture qui invite au voyage. Une réédition pertinente.
Restons sur mer, mais changeons d’époque avec Raven (6). C’est Mathieu Lauffray, auteur du formidable Long John Silver et dessinateur hors pair des bateaux de pirates et de corsaires , qui nous emmène au XVIIe siècle, alors que le pavillon de l’Union Jack flotte sur la mer des Caraïbes. Raven, un jeune et impétueux pirate décide de mettre la main sur un prétendu trésor, promis à l’infâme gouverneur de Tortuga qui fait appel à lady Darksee, une redoutable femme pirate, en échange du pardon royal. Mais Raven, qui assiste à la scène, décide de les devancer et d’agir seul grâce à un plan de l’île où se situerait le trésor. Une BD sortie initialement le 5 Juin mais dont une édition de luxe parait le 10 juillet. Déjà, un incontournable du genre.
Passons d’une grande édition à une publication à couverture souple mais indubitablement originale et attrayante avec la sortie du premier tome de 32 pages de Madeleine Résistante (7). Madeleine, c’est Madeleine Riffaud, née en 1924, fille d’instituteurs, elle grandit en Picardie et rejoindra la Résistance en 1942 à Paris, où elle prend le nom de Rainer, en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke. Amie de Paul Éluard, Picasso ou Hô Chi Minh, poétesse et écrivaine elle-même, elle devient grand reporter après la guerre. À partir de ses souvenirs, Jean-David Morvan et Dominique Bertail transposent en BD son témoignage direct pour faire connaître cette héroïne incroyable. Ce premier tome, publié sous la forme de trois cahiers, inaugure un premier cycle prévu en trois tomes pour raconter la guerre complète vue par Madeleine. Des dessins magnifiques qui laissent entrevoir une oeuvre originale et attrayante.
Terminons cette revue de parutions avec un Ovni consacré au cinéaste Jacques Tati (8). C’est le dessinateur Jacques Merveille (cela ne s’invente pas) qui a mis en valeur les personnages et l’univers du réalisateur dans plusieurs albums édités aux Éditions du Rouergue. Champaka Brussels a sélectionné les plus beaux dessins, y a ajouté des inédits pour éditer un livre magnifique où le grand format donne toute son ampleur à des gravures parfaitement adaptées à l’univers de Mon Oncle ou de M Hulot. Absolument magnifique.
Il vous reste à plonger dans les bacs emplis d’eau et de BD. Bonnes vacances à toutes et tous !
(1) Editions Presquelune. Sortie le 28/08.
(2) Sortie le 26/08.
(3) Editons Glénat. Sortie le 25/08.
(4) Editions Dupuis. Sortie le 21/08.
(5) Sortie le 10/07.
(6) Editions Dargaud. Sortie le 10/07.
(7) Editions Dupuis. Sortie le 10/07.
(8) Format à l’italienne: 28,2 sur 29,5. 45€. 3500 exemplaires numérotés et signés.