Wally, quatre ans en 1940, a mis longtemps à raconter « sa » guerre d’adolescente juive, hantée par la frayeur quotidienne, mais aussi éclairée de quelques instants de beauté et d’amour. Son témoignage simple, magnifiquement mis en images, n’en a aujourd’hui que plus de force. Émouvant et remarquable.
C’est un peu comme s’il y avait deux bandes dessinées. Une couleur sépia aux tons sourds et lourds. Une aux couleurs vives et joyeuses. La première raconte la guerre. La seconde raconte les moments de répit pendant la guerre. C’est qu’il faut bien respirer un peu quand l’atmosphère est insoutenable. L’air pur qui permet aux dessins de prendre les couleurs de la beauté et de la vie c’est celui de la montagne de Corenc petit village près de Grenoble. C’est là que se sont réfugiés après les premières rafles de juifs, les enfants de la famille Danzig.
Histoire que l’on pourrait dire banale si elle ne recouvrait pas une horrible réalité malheureusement renouvelée des milliers de fois. Le mérite de ce récit est de personnaliser et de mettre des visages sur des événements racontés dans les livres d’histoire. Cette chronique est faite de souvenirs d’une petite fille, puis d’une jeune femme à hauteur de mémoire, d’une vie quotidienne d’où émergent quelques moments particuliers de bonheur, petites étoiles dans un ciel sombre.
Wally, prénom francisé en Valentine, n’a que six mois quand sa famille quitte la Pologne pour la France. L’Hexagone, le père de Wally d’origine austro-hongroise, l’a connu en prison en 1914, étranger sur le sol français au moment de la déclaration de guerre et prisonnier civil pendant quatre ans. C’est pourtant là qu’il devient amoureux de ce pays qu’il rêvera de rejoindre, souhait réalisé en 1926, achevant le parcours typique d’une famille juive persécutée en Europe de l’est, migrante en Allemagne et installée finalement en France.
À force de travail et d’abnégation, la famille où grandit Wally va s’intégrer et acquérir une relative prospérité économique jusqu’en 1940. Elle va même découvrir la mer, mais les couleurs restent sépia car le ciel est chargé de l’arrivée au pouvoir en Allemagne des nazis et de la mise en place de leur idéologie nauséabonde. Alors l’histoire des Danzig fournit un fil de la trame de l’Histoire.
Exode vers Brive la Gaillarde et retour à Paris, recensement des juifs, port de l’étoile jaune, interdictions de multiples professions, rafles du « billet vert », rafle « des notables », rafle du « Vel d’hiv » surnommée cyniquement « vent printanier », création du camp d’internement de Drancy, départs des premiers trains. Ce cheminement vers l’horreur et l’indicible, Wally le raconte avec ces mots simples à elle qui rappellent le rôle majeur joué par les autorités françaises dans ce processus qui va aller souvent au-delà des demandes allemandes.
Rafle à la demande de Laval, « pour des raisons humanitaires », des enfants juifs de moins de 16 ans alors que les nazis les ignoraient, gestion de Drancy par les autorités françaises, ces décisions mises en images avec talent par le dessinateur belge Antoine Houcke se concrétisent dans l’esprit du lecteur. Beaucoup de dessins s’inspirent de photos d’époque, parfois très connues, comme pour mieux ancrer l’histoire des Danzig dans la réalité.
Pas d’effets de manche ou de grandiloquence, mais la simplicité des souvenirs d’une grande fluidité et d’une grande humanité suffit à insuffler une véritable émotion. Quand on a seize ans, que l’on se dissimule dans la montagne sans ses parents dont on ne sait rien, que l’on souffre de malnutrition, que l’on craint l’arrestation, on espère quand même parfois voir le monde à travers de belles couleurs. Ces couleurs ce sont celles de français résistants ou simplement aidants, ce sont celles de couchers de soleil sur les dents acérés des montagnes environnantes.
On ne peut vivre éternellement dans le noir et le dessinateur nous éblouit alors avec ses crayons de couleurs, ses fusains, ses taches d’aquarelle montrant que la beauté ne meurt jamais totalement. Deux hivers, un été c’est ce que dure cet enfermement dans l’Histoire et qui ne se terminera qu’à l’hôtel Lutetia à Paris, là ou arrivent les déportés survivants. Ou n’arrivent pas.
Le livre s’achève avec des photos familiales qui donnent encore plus de force au récit. Comme à Oradour sur Glane, où ont été apposées à côté des noms des victimes leurs photos, ces documents donnent des visages à des stèles froides de marbre, restituant une part de vie. Enfin des « Repères historiques » complètent utilement la bande dessinée. Deux hivers un été par sa simplicité rend accessible à tous la perception horrible de la Shoah. Un ouvrage utile pour les adultes et indispensable pour les jeunes.
Deux hivers Un été, scénario de Valérie Villieu d’après le témoignage de Wally Aviam, dessin Antoine Houcke, supervision historique : Annette Wieviorka, Éditions La Boîte à Bulles, 192 pages, 24€.
Cette bande-dessinée a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
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