L’art en BD, Egon Schiele de Xavier Coste – peindre ou mourir

Unidivers vous avait présenté et vanté, l’été dernier, une BD de Xavier Coste consacrée à Arthur Rimbaud. Cet ouvrage était en fait le second du dessinateur qui avait publié quelques semaines auparavant un livre dédié au peintre Egon Schiele. Dans une série d’articles consacrés aux relations entre l’art et la BD, l’occasion était trop belle de revenir sur les débuts prometteurs de ce jeune dessinateur talentueux, âgé de 25 ans. Art et BD, le feuilleton continue.

Arthur Rimbaud a écrit ses derniers poèmes à 21 ans.  Egon Schiele a peint son dernier tableau à 28 ans, âge de sa mort.

Fasciné par les génies éphémères, Xavier Coste ? Peut-être car ses deux ouvrages parus à quelques mois d’intervalle présentent deux personnalités aux nombreux points communs.

Egon schiele, xavier coste, bd, castermanEgon Schiele : quatre syllabes qui claquent dans le milieu conservateur de Vienne du début du XXe siècle. Comme à Charleville-Mézières secoué par les scandales causés par Rimbaud. Egon Schiele a été confronté à des affaires de mœurs avec la police. Tout comme Rimbaud à Bruxelles et ailleurs. Tous deux sont rapidement orphelins de père, celui de Schiele mourant dans la folie, celui de Rimbaud quittant le foyer familial très rapidement. On peut ainsi lister les ressemblances à l’infini.

Pourtant à la différence de Rimbaud, on connait beaucoup moins bien la vie de Schiele. Peu de biographies existent, obligeant Xavier Coste à romancer ou, plus exactement, à interpréter des évènements certains à la lumière d’un tempérament et de faits connus. Et l’ensemble résonne comme une vérité. En regardant les œuvres du peintre, c’est bien ainsi que l’on imagine le créateur autrichien : entre « vie et mort », sous titre de l’ouvrage résumant parfaitement par sa sécheresse le caractère dominant du livre.

Egon schiele, xavier coste, bd, castermanLa mort est en effet omniprésente dans cette BD : mort du père, dont Schiele revêtira le costume pour inaugurer sa première exposition, mort de Wally, première maîtresse connue du peintre, mort de Klimt, le peintre référence que Schiele voulut rapidement surpasser, mort d’Édith à 25 ans, son épouse enceinte, quelques semaines avant sa propre mort… Tous ces décès sont dessinés par Xavier Coste avec réalisme et rendent tangible le mal-être de Schiele. Un Schiele entouré, comme Edward Munch, par l’absence et la perte dès son plus jeune âge. Alors la vie qui reste, elle n’est possible pour l’artiste. Que par le sexe et la peinture qui s’entremêlent à l’infini.

Peindre, c’est vivre et combattre la mort. « Peindre, c’est mon souffle, ma vie » souffle Schiele dans la BD. La toile et le carnet de croquis sont l’ultime protection devant la mort. Xavier Coste fait ainsi dire à Klimt au chevet duquel se trouve Schiele : « Je suis mourant et tout ce que tu trouves à faire, c’est de me dessiner ».

Egon schiele, xavier coste, bd, castermanPeindre les corps, dans leur totale crudité, c’est vivre encore plus, comme l’écrit Patrick Grainville : « A chaque jour un nu, cette nourriture immaculée de l’œil et du désir »(*). Et Schiele va loin, très loin, incompris même de Klimt, mélangeant son désir sexuel avec son désir de peindre, mélangeant modèle et putain, confondant pose artistique et voyeurisme, beauté et désir jusqu’à être emprisonné pour pornographie. Aller trop loin. Aller au bout de la vie. Du sexe. Ce qui est désirable est mortel. Vie et mort. Autoportraits terrifiants, corps décharnés et dénudés, regards inquisiteurs, nudité violente et dérangeante. Schiele veut dépasser Klimt, se brûler aux origines de la création.

Pourtant face à ces excès, le dessinateur ne force pas le trait. Il s’attache à montrer un homme désemparé parfois, odieux souvent, cynique quelques fois, désespéré toujours. Entouré de mort et de désir : « je montre ce que tu cherches, ce que tu désires et qui va mourir » (*). Xavier Coste suggère cette démesure. Il en dévoile les parties sombres, obscures, mais en gardant une certaine distance. Contrairement au peintre, il ne se brûle pas au sujet.

Egon schiele, xavier coste, bd, castermanL’auteur a aussi le bon goût de s’éloigner du dessin de Schiele pour le traiter à sa manière, selon ses qualités et son talent qui est grand. Des toiles sont évoquées en toiles…de fond. Évitant ainsi le plagiat, la comparaison, il a gardé du peintre autrichien, le trait spontané, brut, voire brutal : « il dessine d’un seul geste, il va vite »(*). Pas de repentirs, de circonvolutions, la pureté du trait fige la scène, le visage, expliquant ici ou là quelques légères maladresses. On dit de Schiele que même ses toiles ressemblent à des dessins. Xavier Coste reprend cette affirmation à son compte  en conservant de son sujet l’économie de moyens, en privilégiant le crayon, et les couleurs douces, parfois même la monochromie, se rapprochant des peintures de l’époque, de la « Sécession Viennoise ».

Egon schiele, xavier coste, bd, castermanDans son deuxième ouvrage consacré à Rimbaud, l’auteur joue avec des couleurs. Son « Schiele » est plus à l’image de son sujet : des tons pâles, voire ternes, striées par un crayon puissant et décidé.  Le trait prédomine comme dans ces volutes de fumée de cigarette qui s’échappent d’une silhouette de dos dans sa première pleine page verticale. Pleine page toujours magnifique, toujours silencieuse, véritable moment de respiration et de pur bonheur graphique. Procédé, réutilisé dans « Rimbaud », qui deviendra peut être une marque de fabrique. Pareillement, aucune courbe, aucune rondeur à la Renoir, ni avec les modèles, ni dans le dessin. Pas de sensualité, mais des corps anguleux, secs, décharnés, suggérant une sexualité violente et primaire. Comme les nus du peintre viennois, objet d’un « regard phallique et prédateur »(*),  Xavier Coste a choisi lui aussi des traits vigoureux, tranchés, qui structurent les corps, les visages ou même les paysages. Dans le portrait psychologique ou avec le dessin, l’auteur réussit ainsi à évoquer le peintre sans plagier, sans paraphraser.

À lire les BD consacrées à Gauguin, Schiele, Rimbaud on peut se demander si le génie comme le talent ne se conjugue pas avec des personnalités peu fréquentables, mal sociables, des ego surdimensionnés. La BD, que nous évoquerons la semaine prochaine, « Pablo » (dont le tome 4 est sorti le 21 mars) s’ouvre ainsi par les paroles de Picasso : « Plus je suis odieux avec eux, plus ils m’adorent ».

Sans commentaire. Mais à méditer quand même…

À suivre…

(*) Conseil : si vous souhaitez vous familiariser avec l’œuvre du peintre autrichien, vous pouvez vous procurer l’ouvrage flamboyant, comme son écriture, de Patrick Grainville : « L’ardent désir » aux Éditions Flohic, paru pour la première fois en 1996 mais toujours disponible. Les citations marquées d’un astérisque sont extraites de cet ouvrage, qui aident à comprendre la peinture de l’artiste autrichien.

 

 

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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