La bande dessinée Enfant de la nuit polaire vient de paraître en ce mois de février 2023 aux éditions de La Boîte à Bulles. Livre de contrastes que ce récit de Julia Nikitina, jeune autrice russe, qui raconte son enfance, son pays, son attachement à la mère.
Parfois le noir et blanc suffisent. Ils suffisent lorsque les couleurs éclaireraient injustement la vie de faux sentiments ou de fausses joies. Des joies, des bonheurs il y en a peu dans les premières pages de ce récit autobiographique de Julia Nikitina, née au cœur de la toundra en 1988, dans le premier district producteur de gaz naturel de la Russie. Un coup d’œil sur une carte et situer la ville de Salekhard, tout en haut, près de la mer de Barents pour faire de ce lieu de naissance un lieu que l’on pourrait penser maudit ou du moins sinistre. Les camps de concentration soviétiques n’étaient pas loin.
« Salekhard m’a toujours fait penser au décor coloré d’une ville en carton-pâte. Mais en réalité ici tout est gris et compliqué ».
C’est le domaine de la nuit rarement éclairée par les aurores boréales, du froid quand on « sort » dans la cuisine aussi froide que l’extérieur. C’est le pays de la « torpeur ».
Et pourtant c’est le pays que l’autrice revoit quand elle ferme les yeux en mal d’inspiration, elle qui, à l’âge de 16 ans, est partie pour la ville espérant apprendre le dessin et devenir une artiste. Tioumen, Saint-Petersbourg vont devenir les deux lieux d’apprentissage de son désir de dessins mais la ville va vite devenir suffocante avec son corollaire : l’agoraphobie.
Alors entre la ville et un retour dans le nord « pour reproduire l’histoire de ma mère » la dessinatrice va trouver son chemin, celui du voyage : « Le monde est plus vaste que les rayonnages d’une bibliothèque ».
Cette naissance à la vie en s’éloignant de chez soi mais en gardant dans sa tête les paysages et les moments de vie intense avec sa mère seule, est racontée avec une économie de mots tant le dessin est l’élément majeur et essentiel du récit.
On pense aux gravures et lithographies expressionnistes de Munch. Pareillement le soleil se noie dans la mer, la réalité est déclinée sous forme d’images symboliques, les volutes dessinent des nuages dans le ciel et des champs dans la campagne. Comme dans l’expressionnisme, l’essentiel est dans l’émotion projetée.
« Lorsque je suis à court d’idées, je ferme les yeux et je vois le soleil », déclare un artiste à qui l’autrice est venue demander conseil. Julia Nikitina a suivi à la lettre cette suggestion car rien n’est plus beau que les pages imaginaires qui transforment la vie en résonances poétiques. Le Cri de Munch par sa déformation et sa composition exprime toute douleur et la frayeur du monde. Le trait de Julia Nikitina dit beaucoup de la dureté et de la beauté d’un pays rude et froid. Mais un pays qui est le sien et dont elle ne peut s’échapper. Et auquel elle livre un magnifique témoignage.
Enfant de la nuit polaire de Julia Nikitina. La Boîte à Bulles. Paru le 1er février 2023. 154 pages. 18€.